Des millions de personnes à travers le monde veulent voir la fin de son règne, qui a conduit à un appauvrissement massif, à la destruction de l’environnement et à l’un des pires bilans du monde en matière de mortalité due au Covid-19. Le Parti Socialisme et Liberté (PSOL) est l’un de ceux qui ont été à la pointe de la résistance à ce gouvernement au Brésil. Roberto Robaina est membre de la direction nationale du PSOL et dirigeant de la tendance du Mouvement de la gauche socialiste (MES) en son sein. Il est également conseiller municipal à Porto Alegre et directeur de Revista Movimento. Interview.
Comment évaluez-vous le rôle du gouvernement de Bolsonaro, tant au niveau national qu’international ?
Roberto Robaina Le gouvernement de Bolsonaro a été une expérience catastrophique pour le peuple brésilien, qui a subi une hausse brutale du chômage, la réduction des salaires et la destruction de l’environnement. Plus de 40 millions de travailleurs ont été poussés vers le secteur informel, où ils ne bénéficient d’aucun droit comme la retraite ou les congés payés. L’année dernière a vu un nouveau record de destruction causé par des incendies incontrôlés en Amazonie. Mais le pire de tout a peut-être été l’expérience traumatisante de sonr déni du Covid et de son opposition aux vaccins et à la science, qui a conduit à la mort de plus de 630’000 personnes au Brésil à cause du Covid-19.
Le peuple brésilien n’était pas préparé à cette expérience traumatisante, mais il en a tiré de nombreuses leçons, qui ont amené un grand nombre de personnes à se retourner contre leur gouvernement. De toute évidence, les attentes se sont concentrées sur la recherche d’un moyen de sortir de ce traumatisme, ce qui a conduit à un rétrécissement de l’horizon des attentes des gens.
Au niveau international, le bolonarisme a servi d’exemple à l’extrême droite. Sa défaite aura une importance stratégique. Il est devenu clair pour le monde que l’extrême droite n’est pas prête à gouverner le Brésil.
Le processus de politisation s’est traduit par des actions. Une partie de la société a été forcée de sortir de sa zone de confort et s’est sentie obligée d’affronter Bolsonaro. La conséquence en a été que nous avons assisté à d’énormes mobilisations dans les rues. Bien que ces protestations n’aient pas renversé le gouvernement, elles ont influencé la capacité de Bolsonaro à mener à bien l’ensemble de son projet. Dans ces élections, il sera battu.
Cependant, il est clair que l’extrême droite ne disparaîtra pas avec la fin du gouvernement de Bolsonaro. L’extrême droite a gagné le soutien d’une partie du prolétariat et de secteurs désespérés des classes moyennes et pauvres qui, face à la crise du capitalisme et à l’absence d’alternatives de gauche, ont placé leurs espoirs dans ce type de projet. Et cette tendance se poursuit. Elle est fondée sur la mobilisation des instincts les plus destructeurs des gens. Pourtant, l’extrême droite a subi d’énormes défaites. Nous l’avons vu d’abord avec [Donald] Trump et nous le verrons avec Bolsonaro. En même temps, nous devons nous mobiliser et nous organiser, car nous savons qu’en fin de compte, l’extrême droite est un produit de l’existence continue du capitalisme.
Il existe sans aucun doute une pression pour soutenir un candidat de «moindre mal» contre Bolsonaro lors des élections qui se tiendront plus tard cette année, en particulier le candidat du Parti des travailleurs et ancien président, Luiz Inacio «Lula» da Silva. Pouvez-vous nous dire comment se présentent les élections et quelle est la position de MES/PSOL quant au candidat à soutenir?
Des millions de personnes au Brésil placent leurs espoirs dans la défaite de Bolsonaro. La priorité est de le vaincre. Dans ce cas, il est logique de soutenir un moindre mal, car un second mandat de Bolsonaro signifierait encore plus de violence politique. Le gouvernement a utilisé l’appareil d’Etat pour promouvoir la violence, pour restreindre davantage les libertés de la gauche, de la classe ouvrière et des médias, et a encouragé la haine de la presse tout en favorisant la désinformation et des «fake news». La continuité de Bolsonaro représente une telle menace pour les libertés démocratiques qu’il est vital de le battre aux élections, sachant que si les mobilisations de rue l’ont empêché de consolider son projet, elles n’ont pas réussi à faire tomber son gouvernement.
Bien qu’une partie de la classe capitaliste brésilienne continue de chercher des moyens d’exploiter davantage la classe ouvrière, elle s’oppose à la stratégie de Bolsonaro, qui consiste à instaurer un régime contre-révolutionnaire et à éliminer les libertés démocratiques. La gestion désastreuse de la pandémie par Bolsonaro a accentué ce clivage.
Un fort soutien électoral
Il est donc logique de chercher un moindre mal et nous reconnaissons que Lula conserve un fort soutien électoral, bien que le PT soit beaucoup plus faible qu’il ne l’était dans les années 1980 et lorsqu’il était au gouvernement. A l’époque où Lula était au pouvoir, la crise du capitalisme n’était pas aussi profonde qu’aujourd’hui. Le PT a pu mener une politique développementaliste et gérer les intérêts du capital (ce qui lui a permis d’accumuler du capital), et en même temps, il a pu prendre des mesures sociales, principalement sous la forme de distributions d’argent, pour répondre à certaines demandes des secteurs les plus pauvres. A l’époque, la croissance du pays était liée à l’envolée des prix des matières premières, à la hausse des exportations et à la croissance de la Chine; ces années ont été marquées par une certaine stabilité économique.
Il est en partie compréhensible que l’on recherche le moindre mal, car sous le PT, de nombreuses personnes ont eu une meilleure expérience, alors que sous Bolsonaro, la vie a été un traumatisme. De nombreuses personnes espèrent mettre un terme à ce désastre. Lula s’est imposé comme le candidat capable de vaincre Bolsonaro. Comme Lula atteindra sans aucun doute le second tour des élections (au Brésil, il y a un second tour des élections si aucun candidat ne gagne pas avec plus de 50%), nous, en tant que MES, pensons que le PSOL devrait présenter son propre candidat au premier tour avec un programme de transition composé de mesures capables de répondre aux intérêts les plus profonds de la classe ouvrière. Pour atteindre cet objectif, il faudra s’attaquer aux intérêts des millionnaires, des grandes entreprises multinationales et des grands capitalistes brésiliens afin de redistribuer réellement les richesses, ce qui implique des mesures de base telles que l’augmentation des impôts sur les bénéfices et les dividendes, et la taxation des grandes fortunes.
Problèmes tactiques
Nous savons que la classe capitaliste s’y oppose fermement. Il n’acceptera pas que l’Etat investisse dans des politiques qui contribuent au développement du pays en améliorant les conditions de vie des travailleurs et en créant un marché intérieur dans lequel la richesse est générée par des moyens qui ne sont pas basés sur la surexploitation de la classe ouvrière et qui ne relèguent pas le pays dans la dépendance de l’exportation de matières premières sur le marché mondial.
Nous avons proposé le député fédéral Glauber Braga comme candidat du PSOL. Une autre aile du PSOL pense que nous devrions soutenir Lula au premier tour. Malheureusement, ils sont majoritaires. Nous ne pensons pas non plus qu’il soit certain que Bolsonaro atteigne le second tour, précisément parce que sa popularité est si faible. Si Bolsonaro arrive au second tour, alors Lula aura tout notre soutien pour le battre. Mais nous pensons que les élections sont un moment opportun pour présenter le programme de notre parti et qu’un parti, qui ne présente pas son programme dans une compétition électorale aura beaucoup de mal à agir. Nous pensons qu’il faut créer une alternative anticapitaliste au Brésil, capable de mobiliser les jeunes et les travailleurs, car la lutte contre le capitalisme est une nécessité et la lutte contre l’extrême droite ne s’arrêtera pas aux élections.
L’alliance de Lula avec Geraldo Alckmin, un politicien capitaliste qui a gouverné le plus grand État, Sao Paulo, pendant près de 20 ans [et qui a été proposé comme colistier à la vice-présidence], montre que le projet du PT est toujours social-libéral. Alors, bien sûr, il est juste de voter pour Lula contre Bolsonaro, mais ne pas présenter un candidat propre au premier tour serait une capitulation.
Quel impact pensez-vous que les récentes victoires progressistes au Chili et au Pérou pourraient avoir sur les élections, et comment voyez-vous la situation générale de la gauche dans la région?
La victoire de Gabriel Boric au Chili était cruciale car son adversaire était l’héritier de [l’ancien dictateur Augusto] Pinochet. En fin de compte, la victoire de Boric est due aux protestations et à la rébellion de ces dernières années au Chili. Dans le même temps et en réaction à cette rébellion, une extrême droite a émergé au Chili et a failli gagner. Il ne l’a pas fait parce qu’au second tour, des millions de personnes ont compris la nécessité d’assurer la défaite de l’extrême droite.
La victoire de Pedro Castillo au Pérou est aussi l’expression d’un processus plus long dans le pays. C’est un enseignant qui est apparu sur la scène politique en 2017 en tant que leader d’une très importante grève des enseignants et sa victoire a été une surprise. Son discours était très à gauche, il s’opposait aux entreprises minières et aux multinationales, ainsi qu’à l’agenda prédateur et extractiviste qui existe au Pérou au profit de ces entreprises et multinationales.
Nouvelle vague à gauche en Amérique latine
Les processus au Chili et au Pérou font partie d’une nouvelle vague de la gauche en Amérique latine qui cherche des alternatives au capitalisme, au néolibéralisme. Cette nouvelle vague a eu son point de départ en Bolivie. A l’époque, le coup d’Etat de 2019 contre l’ancien président bolivien Evo Morales semblait être un tournant clé pour l’extrême droite et pour le retour du néolibéralisme. Toutefois, le coup d’État a finalement été vaincu et un dirigeant du Mouvement vers le socialisme (MAS) a été élu président après une période de résistance très intense dans les rues. La Bolivie a été le début de cette nouvelle vague, qui doit maintenant relever le défi de développer un programme d’intégration latino-américaine dans lequel ces expériences peuvent se nourrir les unes des autres et rechercher une éventuelle politique économique commune.
Si Lula gagne au Brésil, le défi que nous devons relever est de faire en sorte qu’il n’agisse pas comme avant. Lors de la précédente vague de gauche en Amérique latine, le gouvernement brésilien s’est comporté comme un pompier, essayant d’éteindre les processus de mobilisation au lieu de poursuivre une véritable intégration latino-américaine. Il a cherché des avantages pour le capital brésilien dans ces pays au lieu d’une politique d’intégration dans laquelle l’Etat utiliserait ses ressources pour construire un marché intérieur latino-américain commun et atteindre une véritable indépendance.
Ce sera un défi parce qu’on a l’impression que rien n’a été appris de cette expérience précédente et qu’au contraire, nous voyons qu’il s’agit constamment de négocier et de collaborer avec des secteurs de la classe capitaliste, qui n’ont aucun intérêt pour l’indépendance régionale.