Le pitch? Par l’enchantement d’un rituel, un quatuor d’adultes en recherche de l’âge de l’innocence et de tous les possibles retourne dans «l’arrière-pays de l’enfance» . Mais ce pays imaginaire de l’Enfantin, ce Nerverland peuplé de doudous abandonnés dans la brume et regardant le public ne leur ressemblent plus. Beaucoup de choses leur semblent étranges si ce n’est étrangères.
A la racine de L’Âge d’or, création pour les dès six ans et premier volet d’un triptyque abordant ensuite l’adolescence dans un théâtre de rues et le grand âge comme une coupe anthropologique et sociologique de la vie des aînés en EMS/EHPAD, mon premier semble issu d’un atelier de création radiophonique en sa variante podcasts. Soit questionner des enfants sur la vie, la mort, la perte, la vieillesse ou le jeu théâtral. Le metteur en scène dramaturge de la Compagnie 3 Points de suspension a ainsi enregistré une cinquantaine d’heures de témoignages d’enfants, les siens, ceux de voisins ou collaborateur.trices.
Terres de l’enfance
Mon second imagine une scénographie de doudou dans la brume. Cet «arrière-pays de l’enfance», quatre comédiens et comédiennes y font retour. Mais avec une mimographie enfantine et une postsynchronisation en live mettant dans leurs bouches les voix enfantines pré-enregistrées. Les tessitures amplifiées des interprètes ressemblent aux voix burlesques gonflés et déformées par l’hélium. L’effet burlesque garanti en vient toutefois à s’essouffler un brin au fil du spectacle multipliant les niveaux de lectures.
Pour adultes, enfants ou tous âges confondus, la création file en creux une relecture de l’histoire de Peter Pan en son versant plus fidèle au récit originel, cruel et âpre, que le variant indolore et conte de fées signé Disney. Pour mémoire, Peter Pan, à l’origine méchant égoïste et meurtrier, a été inventé par James Matthew Barrie, écrivain écossais du XIXe siècle. A sept ans, il perd son grand frère, David. Barrie prend alors la place de ce frère disparu. Il adopte ses habits, imite sa voix, réécrit son histoire.
Bref, James Matthew Barrie se condamne à errer dans la vie qu’il imaginait pour David. L’une des scènes bouleversantes de L’Âge d’or peut y faire écho. Après lui avoir fait subir une scène à la Guillaume Tell à un autre enfant, Ève Chariatte joue l’enfant effondrée demandant »pardon » en boucle. Ceci uniquement de sa silhouette immobile de profil traversée de légers tremblements. Impressionnant.
Bébé dans un corps adulte
Mon troisième est une scène d’anthologie voyant l’acteur Paul Courlet sanctuarisé au milieu d’un cratère de doudous, reprendre le chemin d’un théâtre enfantin d’objets. Le comédien joue au mieux des expressions et attitudes ludiques. Ce qui marque durablement ? Son personnage de bébé babolant s’amusant d’une peluche à main gauche et s’effrayant d’une autre en forme de bleu dino à main droite. Tout en appelant «papa» sur un mode éperdu et incertain plus vrai que nature.
Mon tout est un coup de sonde réussi et dense parmi le grand oublié de la période pandémique, l’enfant. Et ses intensités variées. Mais aussi ses traces et blocs perceptifs d’une expérience de vie papillonnant entre disparition, peurs, pleurs, rires, jubilation et rêves. Bien plus que de souvenirs recomposés depuis l’âge adulte.
Bertrand Tappolet
Theatre Amstramgram, Genève. Jusqu’au 18 juin. Rens.: www.amstramgram.ch. Tournée: www.troispointsdesuspension.fr/