Déposée en septembre 2019 par plusieurs organisations actives dans la protection de la santé publique comme la Ligue suisse contre le cancer, l’initiative populaire « Oui à la protection des enfants et des jeunes contre la publicité pour le tabac» sera soumise au vote le 13 février. Le texte souhaite interdire tout type de publicité pour le tabac, qui peut atteindre les enfants et les adolescents. Celle-ci ne serait possible que pour le public adulte à travers des canaux spécifiques comme les courriels promotionnels, les prospectus ainsi que les contenus sur Internet et les réseaux sociaux. Une proposition qui ne seyait pas au parlement, sous l’influence de l’industrie du tabac, qui a prévu d’opposer un contre-projet à l’initiative sous la forme d’une nouvelle Loi sur les produits du tabac. Celle-ci interdit la publicité pour les produits tabagiques et la cigarette électronique sur les affiches et au cinéma. De même, il serait prohibé pour les cigarettiers de distribuer des clopes gratuitement et de parrainer des manifestations internationales en Suisse. Mais la publicité dans les kiosques, la presse et sur Internet resterait autorisée (sauf si elle devait cibler les mineurs), de même que le parrainage de manifestations nationales. Pour nous éclairer sur les enjeux de la votation et sur leur initiative soutenue par la gauche et les Vert.es ou le Centre, nous avons contacté Grégoire Vittoz, directeur d’Addiction suisse, centre national de compétences dans le domaine des addictions, basé à Lausanne.
Comment est née votre initiative? Quelle est la base de sa gestation?
Grégoire Vittoz Lorsque le Conseil fédéral a présenté en 2017 la version remaniée de son avant-projet de la loi sur les produits du tabac, notre coalition l’a immédiatement rejetée en consultation, car nous jugions le projet insuffisant pour lutter contre le marketing agressif de l’industrie du tabac. Nous avons alors décidé de lancer une initiative pour influencer les débats. Ce qui a partiellement réussi, mais avec la loi issue des débats parlementaires, qui entrera en force le 13 février, la Suisse ne satisfait toujours pas à une des exigences essentielles de la convention-cadre internationale pour la lutte antitabac de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), celle d’une interdiction complète de la publicité, de la promotion et du sponsoring des produits du tabac. Le débat sur ce type de publicité est réglé dans la plupart des pays du monde.
Quel est le but de votre initiative? Pourquoi focaliser sur l’interdiction de publicité pour le tabac pour les mineurs?
Pour comprendre la situation, il faut rembobiner le film. Le tabagisme est un problème majeur de santé publique. Chaque année, 9500 personnes meurent de maladies liées au tabac, soit 40 fois plus que le nombre de décès dus aux accidents de la route. Il engendre aussi annuellement des coûts médicaux directs d’un montant de 3 milliards de francs. Cela représente 4% de l’ensemble des dépenses de santé. Il convient donc d’agir préventivement contre ce fléau, sachant que la publicité de cette substance mortelle et hautement addictive auprès des jeunes vise avant tout à recruter des nouveaux consommateur.trices pour remplacer ceux qui arrêtent le tabac ou sont décédés. Plusieurs études montrent que la publicité a un impact déterminant sur la consommation. Plus les enfants et les jeunes sont exposés à la publicité et à la promotion pour les produits du tabac, plus la fréquence avec laquelle ils commencent à fumer est élevée. Il faut donc agir aujourd’hui, sachant qu’il est rare que les ados se mettent à fumer après leurs 21 ans.
Le parlement, qui considère que votre initiative va trop loin, a donc proposé un contre-projet indirect, sous la forme d’une nouvelle Loi sur les produits du tabac, débattue pendant cinq ans. Pourquoi ne pas s’en contenter?
Pour notre coalition, le contre-projet rate sa cible. Dans la nouvelle loi sur les produits du tabac, la publicité dans les journaux gratuits, sur Internet et donc dans tous les médias sociaux ainsi que dans les festivals et dans les kiosques reste autorisée, c’est-à-dire précisément là où les jeunes sont. Il n’y a que sur les affiches et au cinéma que les produits du tabac ne peuvent plus faire l’objet de publicité. De nombreux cantons ont d’ailleurs déjà interdit ce type de publicité. Ainsi, la nouvelle loi se contente de figer le statu quo.
La nouvelle loi prévoit d’interdire définitivement la vente de tabac ou des cigarettes électroniques aux mineurs de moins de 18 ans. Ce n’est pas une avancée?
Une telle limite de la vente de tabac aux mineurs est déjà appliquée dans onze cantons suisses. Elle est même approuvée par l’industrie du tabac. La loi édictée, faut-il encore la faire respecter. Pour la consommation d’alcool chez les mineurs, de nombreux achats tests montrent que les vendeurs ne respectent de loin pas cette interdiction. De plus, même si l’interdiction est promulguée, la publicité pour le tabac sera toujours là, contribuant à un effet incitatif vers la consommation.
Outre l’interdiction de pub sur le tabac pour les mineurs, quelles sont les autres mesures que vous préconisez pour endiguer le tabagisme?
Outre l’interdiction de publicité, les principales mesures recommandées par la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte anti-tabac que la Suisse a signée, mais non-ratifiée, sont l’augmentation du prix du tabac en majorant les taxes, moyen très efficace pour réduire la consommation ou la neutralité de l’emballage du paquet de cigarettes, sans éléments marketing, réduisant son attractivité.
La Suisse pourrait aller vers une légalisation du cannabis? Faudra-t-il aussi interdire la publicité de ce produit auprès des mineurs?
Il nous paraît intéressant de sortir de la prohibition du cannabis qui est un échec pour aller vers une régulation dont la forme reste à définir. Cette régulation devra accorder une importance primordiale à la protection de la jeunesse et devra nécessairement inclure parmi d’autres mesures de prévention une interdiction de publicité auprès des mineurs.
Infos sur www.enfantssanstabac.ch