Quand j’ai lu l’article dans le Canard enchaîné du 29 décembre 2021, je n’en croyais pas mes yeux … (rubrique «La boîte aux images», documentaire d’Elisabeth Vargas «Mariées de force», diffusé le 4.1.22 à 20h55 sur Canal Plus). Nous ne sommes pas en Inde, en Iran ou en Afrique (75% des filles de moins de 18 ans sont mariées au Niger, 68% au Tchad, 65% au Bangladesh) … mais aux USA!
L’histoire de Sherry Johnson fait se dresser les cheveux sur la tête. Ses parents, une famille afro-américaine de Floride, étaient les pasteurs d’une communauté évangélique, la Maison de la prière. Chaque fois que le diacre préparait l’office, il montait à l’étage et violait Sherry. La fillette avait 8 ans, le violeur 18. Lorsque l’enfant se confie, personne ne l’écoute. Pire, sa mère, en plein office, met publiquement en garde les fidèles «Ne croyez pas ma fille!» Pas de scandale dans la communauté. A 9 ans, Sherry est enceinte de 7 mois. Sa famille la confie à l’évêque… qui l’emmène en voiture pour abuser d’elle. Entre-temps, le diacre a avoué. Afin d’éviter le scandale, la fillette est mariée à son bourreau. Un juge de l’Etat de Floride a signé l’acte d’union, aux côtés de la mère de l’épouse et de son violeur de mari…
En 1995, les USA ont signé la Convention internationale des droits de l’enfant, mais ne l’ont jamais ratifiée. Un amendement qui permet au Département d’Etat américain de qualifier de «violation des droits de l’enfant» le mariage forcé de mineur.es dans d’autres pays, tout en l’autorisant sur son propre territoire! Entre 2000 et 2018, près de 300’000 fillettes enceintes ont été abandonnées à leur violeur, dans l’espoir de maquiller un acte criminel en devoir conjugal. Et ni la justice, ni les médecins, ni les éducateurs, ni qui que ce soit ne s’en indigne! En 2021, seuls 5 Etats américains interdisent le mariage des moins de 18 ans, dont le New Jersey et le Delaware. Dans tous les autres, l’union avec un.e mineur.e est autorisée, avec approbation judiciaire, dès lors que les parents l’acceptent. Dans 18 Etats, il n’existe pas d’âge minimal.
Les mariages d’enfants ont des effets de longue durée sur la santé, l’éducation, l’accès aux métiers des jeunes filles, et augmentent leur risque d’être victime de violence domestique et de vivre dans la pauvreté, qu’ils aient lieu dans les pays en voie de développement ou dans les pays développés (UNICEF, 2017). Le mariage entre deux personnes qui ont une certaine différence d’âge peut aussi constituer un viol sur mineur. Dans le monde, 700 millions de femmes ont été mariées avant 18 ans.
Depuis quelque temps, les Etats-Unis nous ont habitué.es à l’impensable: l’élection de Trump, inculte, sa notion de «vérités alternatives», les vagues ininterrompues de ses tweets mensongers, son attitude méprisante envers le monde entier, ses décisions uniquement destinées à sa réélection, n’hésitant pas à proposer des «deals» aux pires dictateurs de la planète, sa défaite transformée en victoire, à laquelle croient encore 70 millions d’Etasunien.nes, son appel à monter sur le Capitole, suivi par des milliers de fans, son refus de collaborer à l’enquête, le pays scindé en deux dont chaque partie considère l’autre non pas comme des adversaires, mais comme des ennemis. Sous Biden, le retrait catastrophique des troupes US de l’Afghanistan, et le président démocrate a toutes les peines du monde, notamment à cause du blocage systématique des républicains, à faire voter les subventions indispensables à ses réformes.
La situation actuelle des USA est inquiétante. Les routes, les voies ferrées, les ponts et les barrages sont en mauvais état et potentiellement dangereux, comme nous l’a tristement rappelé l’effondrement du pont Morandi, à Gênes, le 17 août 2018. Le pays compte 47 millions de pauvres, soit 12% de la population, il y a un écart énorme entre les richesses privées et l’indigence des pouvoirs publics. Le système de répartition des aides sociales est pluraliste et décentralisé. L’Obamacare a été laminé par les républicains, attaqué par Trump. Cependant, la réforme a permis une forte diminution de la proportion d’Américain.es sans assurance maladie, qui est tombée de 20,3% à 13,2% de la population entre 2013 et 2015. Comme pour les armes, toute tentative de réforme se heurte à des lobbys puissants, les soins sont très élevés, les médecins gagnent beaucoup d’argent. Aux USA, l’argent fait loi. Mais la plupart des Américain.es n’ont pas conscience de la situation de leur pays: iels ne le quittent jamais.
Le racisme est systémique, Les Etats-Unis détiennent le record mondial du taux d’incarcération. En moyenne, un habitant sur 133 est en prison aux Etats-Unis; en France, cette proportion est de 1 pour 1000. Les dernières statistiques confirment aussi les fortes disparités, en fonction des Etats mais surtout du sexe et de la race: plus de 9 détenus sur 10 sont des hommes, et les hommes noirs, qui représentent moins de 7% de la population totale du pays, comptent pour 37% de sa population carcérale.
Aux USA, le peuple élit son président tous les 4 ans via les 538 grands électeurs, ce qui aboutit à des situations absurdes, comme la non-élection d’Hillary Clinton, en 2016, alors qu’elle devançait son rival Trump de près de 3 millions de voix, mais il avait obtenu 304 grands électeurs contre 227. Dans n’importe quelle autre démocratie, le ou la candidat.e qui obtient le plus de voix l’emporte. Aujourd’hui, plusieurs Etats à majorité républicaine cherchent à restreindre l’accès au vote.
Une autre institution me paraît anti-démocratique: la Cour suprême, qui a un poids déterminant aux USA. Ses 9 membres sont désignés par le président et siègent à vie. Cela a permis à Trump de désigner 3 membres particulièrement réactionnaires et porte la majorité à 6 contre 3. Les femmes tremblent de voir la Cour suprême revenir sur le droit à l’avortement. En Suisse, c’est l’Assemblée fédérale qui élit les juges fédéraux, pour une durée de 6 ans, en respectant notamment une représentation équilibrée selon la langue, l’appartenance politique, l’origine régionale.
La déliquescence de la politique, des infrastructures, de l’éducation de base, de la santé, du système carcéral et social classe les Etats-Unis parmi les pays du tiers monde. Le sort réservé aux fillettes qu’on marie de force, dès le plus jeune âge (Sherry Johnson avait 9 ans!) ne fait que confirmer cet état de fait.