C’est le retour de la gauche au pouvoir avec une majorité confortable dans un régime présidentiel. Gabriel Boric l’emporte avec plus de 10 point d’avance sur le candidat de l’extrême droite soutenu par l’oligarchie et la droite traditionnelle. C’est aussi une page qui se tourne sur les années de la dictature dont se réclamait ouvertement José Antonio Kast qui était arrivé, un peu par surprise, au 2ème tour.
C’est donc un vrai non au passé et un oui vers l’avenir soutenu majoritairement par les générations qui n’ont pas connu la dictature. La victoire est certainement celle d’un homme qui a su incarner les aspirations populaires et décidé à mettre fin au «modèle néolibéral des Chicago boys», voulu par Pinochet et pas contesté par les gouvernements qui se sont succédé ensuite, avec une société totalement privatisée, de l’école en passant par la santé ou encore la distribution de l’eau ou les retraites, avec des inégalités flagrantes. Elles ont été la raison du soulèvement social de 2019. Mais la victoire est aussi celle des mouvements sociaux qui ont réussi à porter les revendications populaires et ont «obligé» le président Piñeda à lancer l’idée d’une constituante, dont les délégués élus ce printemps sont le reflet majoritaire des différents secteurs de la société, qui veulent tourner la page de la constitution corsetée voulue par Pinochet.
La victoire de ce dimanche montre que, malgré la situation sanitaire qui a limité grandement les manifestations de masse des différents mouvements, l’esprit du changement ne s’est pas émoussé. Pourtant, la droite a usé de tous les stratagèmes pour discréditer Boric. L’accusant tour à tour d’homosexuel (dans un Chili encore très puritain), d’harceleur sexuel, de communisme et du risque que le Chili devienne un autre Venezuela, et j’en passe. C’est un tournant dans l’histoire du Chili qui sera complété quand la nouvelle constitution sera écrite au printemps 2022 et approuvée par votation populaire.
Un sursaut pour l’Amérique latine
Mais cette victoire est aussi emblématique dans une Amérique Latine en mutation. Le Chili était resté un bastion très pro-américain durant la première décade de ce siècle, alors que le Venezuela de Chavez, le Brésil de Lula, le Paraguay de Lugos ou l’Equateur de Correa ou encore la Bolivie de Morales représentaient une réelle force de résistance face au Etats-Unis et d’espoir populaire.
La droite a repris ensuite le leadership en fomentant des coups d’Etats parlementaires au Brésil contre Dilma Roussef, au Paraguay ou au Honduras puis en impossibilisant Lula de se présenter aux élections de 2018 et en le maintenant 18 mois en prison. Sans parler du réel coup d’Etat en Bolivie en 2019, et la déstabilisation des pays qui résistent comme le Venezuela, le Nicaragua, Cuba et maintenant le Pérou de Pedro Castillo, discréditant les élections et imposant des sanctions qui étranglent l’économie du pays et créent une situation sociale très difficile.
C’est dire que cette victoire, après celle de Arce en Bolivie, de Mme Castro au Honduras et celle de Ortega au Nicaragua ouvre à nouveau un espace de coopération sud-sud en Amérique latine et un réel contre-pouvoir à l’OEA (Organisation des Etats américains) totalement alignée sur les Etats-Unis et largement discréditée surtout que 2 autres grands pays sont actuellement gouvernés par des présidents progressistes : le Mexique de Obrador ou l’Argentine de Fernandez.
On peut rêver -plus que jamais- à un retour de Lula au pouvoir au Brésil et une victoire de Petro en Colombie qui pourrait mettre fin, dans ce pays, à la triste ère de Uribe et ses milliers d’assassinats de leaders des mouvements sociaux et ouvrirait la voie au respect des accords de paix conclus en 2016.
La victoire au Chili est notre cadeau de fin d’année, à nous aussi qui sommes englués dans une crise covid qui continue à nous sidérer (au sens propre du terme) et nous fait oublier qu’un autre monde est possible.