Il est pourtant loin, le temps des pionnières élues à la tête d’un Etat: Indira Gandhi fut Première ministre de l’Inde de 1966 à 1977 puis de 1980 à son assassinat en 1984. Golda Meir fut Première ministre d’Israël du 17.3.1969 au 11.4.74. Margaret Thatcher fut Première ministre du Royaume-Uni du 4.5.1979 au 28.11.1990. Dans le monde masculin de la politique, elles apparaissaient comme des incongruités.
Et aujourd’hui, le monde a-t-il réellement changé? Les femmes ne sont que 20 cheffes d’Etat sur 197 pays, ce qui représente environ 10%. Elles étaient 21 avec Angela Merkel, qui vient de céder la place à Olaf Scholz. C’est peu, trop peu. La Nouvelle-Zélande, premier pays au monde à avoir accordé aux femmes le droit de vote en 1893 et de se présenter à des élections en 1919, ainsi que la Finlande, premier pays européen à avoir accordé aux femmes le droit de vote et de se présenter à des élections en 1906, sont tous les deux dirigés par une femme. 10 femmes dirigent des pays européens, 4 sont à la tête de pays asiatiques. Les 6 autres sont équitablement réparties: 2 en Afrique, 2 dans les Caraïbes et 2 en Océanie.
La France, pourtant patrie des droits humains, semble incapable d’élire une femme à sa tête. Je me souviens avec tendresse de la première à se lancer dans la course présidentielle: Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, candidate à 6 reprises (1974, 81, 88, 95, 2002, 07) et de son «Travailleuses, travailleurs» lancé au début de chacune de ses interventions. Elle n’avait aucune chance, certes (son score oscillait autour de 2%), mais sa seule présence avait quelque chose de rassurant. En 1995, quand elle obtint 5,3% des voix, ce fut une heureuse surprise et un soulagement pour les finances de son petit parti, puisque les frais de campagne sont remboursés dès que le score d’un.e candidat.e atteint les 5%.
En 2011, Ségolène Royal fut choisie «dans la douleur» comme candidate du PS, au détriment de Dominique Strauss-Kahn, Laurent Fabius, François Hollande. Je pense qu’elle avait des chances de devenir la première femme présidente française. Mais elle a été boycottée par les «éléphants» du parti, qui, vexés qu’une femme leur ait passé devant, non seulement ne la soutenaient pas, mais chahutaient et se moquaient d’elle lors de ses meetings… Et c’est Nicolas Sarkozy qui fut élu.
Depuis le début de la 5e République en 1966 et les premières élections présidentielles, les femmes ne furent que 12 candidates contre 58 candidats. Et seulement 2 à parvenir au 2e tour: Ségolène Royal en 2007, et Marine Le Pen en 2017. Pourtant, la loi du 6.6.2000 impose la parité dans les scrutins à liste.
Plus on monte dans les sphères politiques et de pouvoir, plus le nombre de femmes diminue. La fonction de président.e de la République a été conçue par et pour les hommes, et taillée sur mesure pour le général de Gaulle, un militaire à la figure protectrice, père de la patrie, ce qui rend particulièrement difficile, pour une femme, de l’incarner. 3 femmes la briguent pour 2022 (si l’on excepte les petits partis): Marine Le Pen pour le Rassemblement national (elle fut déjà candidate en 2012 et en 2017), Anne Hidalgo pour le PS, Valérie Pécresse pour Les Républicains.
Pauvre Anne Hidalgo! A cause de ses atermoiements et de la conjoncture, elle n’est pas sûre de récolter 5% des voix, ce qui signifierait un trou financier pour le PS qui pourrait lui être fatal. Or ce parti, jusqu’en 2012, représentait environ un quart de l’électorat français.
Marine Le Pen est talonnée par Eric Zemmour, tous deux obtiennent environ 15% des suffrages.
Valérie Anne Emilie Roux est née en 1967, le 14 juillet (une date qui la prédestinait à la politique) à Neuilly-sur-Seine. Elle est la fille de Dominique Roux, universitaire et dirigeant d’entreprise, et de Catherine Bertagna. Son grand-père maternel, Louis Bertagna, psychiatre, catholique et résistant, hébergea le journal Témoignage chrétien, paru clandestinement pendant l’Occupation, et soigna plus tard l’anorexie de Laurence, fille de Jacques Chirac. C’est une surdouée: à 15 ans, elle apprend le russe à Yalta, dans un camp d’été des jeunesses communistes, elle obtient son baccalauréat à 16 ans, étudie le japonais, qu’elle perfectionne à Tokyo en vendant des caméscopes et des liqueurs, fait HEC puis l’ENA, dont elle sort 2e. Elle épouse le 6 août 1994 Jérôme Pécresse, président d’Alstom. Ils ont trois enfants. Maître des requêtes au Conseil d’Etat de 1992 à 2015, elle est conseillère de Jacques Chirac et enseigne à l’Institut d’études politiques de Paris pendant 6 ans. En 2002, elle est élue députée dans la 2e circonscription des Yvelines. Elle est ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de 2007 à 2011 dans le gouvernement Fillon sous la présidence de Sarkozy, elle y mène la réforme de l’autonomie des universités. Elle est ensuite ministre du Budget et porte-parole du 3e gouvernement Fillon, de 2011 à 2012. On la dit méthodique. En décembre 2015, elle est élue présidente du Conseil régional d’Île-de-France, succédant au socialiste Jean-Paul Huchon. En juin 2019, elle démissionne du parti LR, «cadenassé de l’intérieur, dans son organisation mais aussi dans ses idées», elle plaide pour un élargissement du socle électoral aux libéraux et aux centristes, séduits par les sirènes macronistes. Le 4 décembre 2021, elle remporte la primaire interne LR avec 61% des voix, devançant Eric Ciotti.
Selon un récent sondage, elle serait à 20% des intentions de vote au 1er tour et gagnante face à Emmanuel Macron au 2e tour, à 52%-48%… Pour Macron, elle représente sans doute une candidate bien plus dangereuse que Marine Le Pen, qui trébucha lamentablement sur les questions économiques lors du débat entre les deux tours de 2017.
Deviendra-t-elle la première femme à présider la France? Elle en a certes les capacités, mais elle est poussée vers l’extrême droite par les coups de boutoir non seulement d’Eric Zemmour, mais aussi de son colistier Eric Ciotti, sorti 2e, qui ne lâchera pas le morceau. En plus, elle a une image restrictive et discutable de la France, qu’elle résume par le foie gras, le sapin de Noël, miss France et le tour de France(12.12). J’aurais dit «son histoire, les monuments, les paysages, la culture, l’art de vivre», mais je ne suis ni Française ni candidate à la présidentielle!