Pascal Rebetez est connu comme ancien journaliste à la TSR. Suite à une rupture conjugale, il est allé sur les traces de ses anciens reportages. Il adresse son livre à son nouvel amour, Nouchka, sur un ton qui rappelle nos émois adolescents. Il va lui décliner un «patchwork» où s’entremêlent «la grande et les minuscules histoires mêlées». Il assume donc la «discontinuité narrative» de son récit. C’est l’occasion pour l’auteur de se souvenir de ses voyages de jeune homme, accomplis à une époque révolue, que nous avons personnellement bien connue, celle où les cartes bancaires et surtout les téléphones portables n’existaient pas, et où le voyage signifiait une vraie coupure. Son parcours s’inscrit dans la tradition des écrivains voyageurs, tels Isabelle Eberhardt et Nicolas Bouvier. L’opus est d’ailleurs préfacé par un autre amateur de grands espaces parcourus à pied, Daniel de Roulet.
Mais surtout, Pascal Rebetez va se trouver sur le terrain de trois épouvantables génocides qui ont marqué la fin du 20e siècle. D’abord celui du Rwanda en 1994, dont les traces sont encore partout perceptibles, et où survivants des victimes et des bourreaux se retrouvent condamnés à vivre côte à côte. L’auteur ne se contente pas de déplorer cet abominable crime collectif dont il rappelle les détails sanglants, parfois insoutenables. Il pointe du doigt les responsabilités de l’ONU, celles de la France mitterrandienne et celles, moins connues, de l’Eglise catholique. Sait-on par exemple qu’un archevêque d’origine valaisanne, Mgr Perraudin (décédé en 2003, ndlr), avait par ses prêches «ethniques» distinguant Hutus et Tutsis, comme l’avait fait le colonisateur belge, encouragé les massacres successifs qui précédèrent le génocide? Et que le curé de Nyanga donna l’ordre de démolir son église au bulldozer, tuant ainsi «deux mille de ses propres fidèles qui s’y étaient réfugiés»?
Autre terre marquée par une tragédie génocidaire, l’ex-Yougoslavie, dont Pascal Rebetez montre les stigmates, et notamment les destructions commises par les Serbes à Dubrovnik.
Il relate aussi un massacre oublié, celui commis en 1897 à l’Est de la Crète, devenue la terre d’accueil de l’auteur, et commis par la population grecque contre ses voisins turcs, avec lesquels elle vivait jusque-là en bonne intelligence: «Hommes massacrés, femmes éventrées, garçons émasculés, filles brûlées ou violées, membres arrachés et jetés aux chiens, mamelles coupées, coups de fusils, de sabre ou de couteau, rien n’a manqué aux abominations». Ce faisant, l’auteur se situe à rebours d’une histoire officielle grecque exaltant l’esprit de liberté et l’héroïsme des Crétois soumis au joug ottoman.
Enfin, se référant à la fameuse «banalité du mal» de Hannah Arendt, il confesse que lui aussi aurait pu devenir un tueur, comme peut-être chacun d’entre nous. Très engagé dans la lutte des Jurassiens pour leur indépendance, il aurait bien pu, lors des affrontements de Moutier, abattre quelques grenadiers bernois détestés… Et de conclure: «Il n’y a pas de réponse à la barbarie humaine, il y a des interrogations.». En bref, voici un petit opus attachant, dont le ton oscille entre amertume, humour désabusé, exaltation amoureuse et révolte devant les tragédies génocidaires.
Pascal Rebetez, Tenir sur les talus, Vevey, Editions de L’Aire, 2021, 79 p.