La gauche est remontée. Lors de la session d’hiver des chambres, la majorité bourgeoise du parlement, sur incitation du Conseil fédéral a relancé ces coupes dans les impôts fédéraux. Dernier en date: le projet de supprimer l’impôt anticipé sur les intérêts des obligations suisses. Au Conseil des Etats, le sénateur saint-gallois socialiste, Paul Rechsteiner a mis en garde le 31 novembre ses collègues contre de nouveaux cadeaux fiscaux aux grandes entreprises comme UBS ou Credit suisse et sonner la charge.
Améliorer l’attractivité de la place financière suisse? «Celle-ci n’est pas sous-capitalisée, bien au contraire! En raison d’excédents massifs et d’énormes afflux de capitaux, nous nous trouvons dans une situation historiquement unique, à savoir que la Banque nationale doit combattre ces afflux de capitaux par des taux d’intérêt négatifs – au détriment des épargnants en Suisse et de notre prévoyance vieillesse. Avec une baisse d’impôt pour le marché des capitaux, vous aggravez encore ce mal de la surcapitalisation», a-t-il dénoncé, estimant que la place financière était surtout «sous-imposée».
Equite fiscale
Le socialiste a aussi mis en avant la nécessité de l’équité fiscale pour tous. «Pourquoi le peuple a-t-il récemment rejeté, lors de votations référendaires, des projets fiscaux émanant de cette Assemblée, comme la troisième réforme de l’imposition des entreprises (sous sa première mouture en 2017, ndlr) et les déductions pour enfants? Ces projets ont été rejetés car ils violaient les principes de l’équité fiscale. La population est accablée par des primes d’assurance maladie et des loyers élevés. Elle a un sens aigu de l’équité fiscale», a-t-il dénoncé, tout en rappelant que cet impôt anticipé fait partie des impôts les plus rentables de la Confédération. Il estime les pertes probables entre 600 et 800 millions par an, alors que le Conseil fédéral parle de 170-200 millions. Ajoutons que ces pertes affecteront aussi les Cantons, à qui sont versés 10% du produit de l’impôt anticipé.
Pour le parti socialiste, qui lancera un référendum, soutenu par l’ensemble de la gauche, cet impôt anticipé sur les intérêts des obligations suisses doit aussi être maintenu pour éviter l’évasion fiscale. Car comment marche ce système? Dans un premier temps, 35% d’impôt anticipé sont déduits des revenus de l’épargne. Les personnes qui déclarent correctement leur fortune et les intérêts en découlant dans leur déclaration d’impôt se voient rembourser l’impôt anticipé dans un deuxième temps. «Il est insensé de récompenser précisément ceux qui ne déclarent pas correctement en supprimant partiellement l’impôt anticipé et de favoriser ainsi la malhonnêteté fiscale au détriment des personnes honnêtes, par exemple au détriment de tous ceux qui sont taxés au moyen du certificat de salaire», a expliqué Paul Rechsteiner.
Amère pilule
Pas de quoi ébranler le ministre des finances, Ueli Maurer. Il considère que ces coupes dans l’impôt anticipé n’affecteront que 3% des recettes globales de cet impôt, car 90 à 95% des rentrées générales de cet impôt proviendraient des paiements de dividendes et des rachats de dividendes. Pour faire passer sa pilule amère, l’élu UDC vante un rattrapage des places financières «comme le Luxembourg, mais aussi Londres, la Corée, Singapour et les Etats-Unis». Et d’insister sur les «nécessaires investissements dans la place économique suisse, qui est de plus en plus sous pression au niveau international».
Ultime argument sorti de son chapeau, la défense de l’emploi. «Le Conseil fédéral parle d’un manque à gagner de 170 millions de francs. Il s’agit d’un calcul statique, mais personne n’a mentionné que le Conseil fédéral part également du principe que ce manque à gagner sera compensé en relativement peu de temps, parce que les affaires se dérouleront à nouveau en Suisse et que des emplois seront rapatriés en Suisse», a-t-il assumé.
«La droite est hors de contrôle. Malgré la pandémie, elle poursuit obstinément son plan visant à réduire toujours plus les impôts des multinationales et des personnes les plus fortunées. Ce sont les mêmes personnes qui s’inquiètent ensuite de l’augmentation de la dette en raison du coronavirus. Cependant, lorsqu’il s’agit d’accorder des privilèges à leurs bailleurs de fonds, la réflexion est beaucoup plus rapide», a mitraillé le conseiller national PS (AG), Cédric Wermuth.
Deuxième salve
Et cette nouvelle réforme n’est pas tout. Outre l’abolition d’une partie de l’impôt anticipé, le Conseil fédéral a inclus dans le projet, la suppression du droit de timbre de négociation sur les obligations suisses. Qui touche l’achat et la vente de titres suisses et étrangers effectués par les commerçants suisses. Il s’élève à 1,5 ‰ (pour mille) pour les titres suisses et à 3,0 ‰ pour les titres étrangers. «En 2007, le droit de négociation a rapporté environ 1,9 milliard de francs», comptabilise l’Administration fédérale des contributions (AFC) sur son site. Des exemptions sont déjà entrées en vigueur, notamment sur l’émission de titres (à l’exception des parts de fonds de placement étrangers).
«Avant même que les électrices et électeurs n’aient pu voter sur la suppression du droit de timbre en février 2022, la droite brise sa promesse en voulant déjà supprimer une partie du droit de timbre de négociation dans le cadre de la suppression de l’impôt anticipé», regrette le PSS. Pour l’heure, seule une divergence existe entre les deux chambres sur la date d’entrée en vigueur de cette réforme sur l’impôt anticipé sur les intérêts et celle sur le droit de timbre des obligations.
Impunité fiscale
Conclusion sans ambiguïté: «Ce projet s’inscrit dans une longue série de projets fiscaux qui favorisent unilatéralement le capital: réformes de l’imposition des entreprises, abolition des droits de timbre, etc. Le plan d’Economiesuisse et du lobby de la finance est toujours le même: avec toujours plus de projets, ils veulent faire en sorte que les personnes les plus fortunées et les multinationales ne paient finalement plus d’impôts du tout», insistent les futurs référendaires. «Au final, seuls les salaires, les retraites et la consommation seront encore imposés et la population devra en payer le prix. Il faut mettre un terme à cette stratégie dangereuse et dire donc non à ce passe-droit pour la fraude fiscale», appuient-ils.