Les nazis ont présenté la lutte de résistance comme un terrorisme des sous-hommes slaves et juifs. «Après une série d’attentats, la police arrêta le groupe de résistance dans le Paris occupé et les a livrés aux Allemands», écrit Peter Huber. «Dans les jours qui suivirent leur exécution, les autorités placardèrent dans toute la France la fameuse «Affiche rouge», avec les visages et les noms des fusillés à consonance étrangère dans l’intention de faire passer la résistance pour comme une entité étrangère et de dissuader les Français de la rejoindre ou d’avoir de la sympathie pour eux.»
Discriminations
Le général de Gaulle et ses cadres étaient n’étaient pas exempts eux aussi de discrimination: ils veillaient à présenter la résistance comme une affaire purement française et blanche. Mais en réalité, des dizaines de milliers de personnes venues d’Afrique, d’Europe de l’Ouest et de l’Est ont participé à la libération de la France. A l’époque, les pays d’Europe de l’Est étaient occupés et dirigés par des gouvernements fascistes ou nationaux de droite. La Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie étaient des alliés de guerre du Reich allemand. Des milliers de Polonais, Tchèques, Hongrois et ressortissants d’autres pays occupés pays se sont donc battus en France.
Selon Peter Huber, le plus grand groupe était constitué de «30’000 soldats coloniaux d’Afrique noire, qui, en 1945, ne figuraient pas sur les photos des vainqueurs en Europe. Sur décision d’en haut et dans le cadre de l’opération opération ‘blanchiment’ (de la peau), ils furent retirés à l’automne 1944 de la 1ère Armée française et renvoyés en Afrique. A leur place sont mis en avant des résistants blancs des Forces françaises de l’intérieur (FFI), dont des Suisses, ce qui correspondait mieux à l’image de la France victorieuse, que des troupes coloniales étrangères et extra-européennes».
Procès d’opinion
Il en va ainsi de Walter Stierli. Dessinateur en bâtiment zurichois, fils d’ouvrier du bâtiment et militant du PdT, il a quitté en 1944 le service actif et sa famille et s’engagea avec son amie dans l’organisation de résistance active en France, celle de la FFI. A son retour, son procès militaire se transforme en procès d’opinion, teinté d’anticommunisme agressif. Il est question de «sentiments vulgaires», de sa «vie de famille», de sa «relation adultère», à laquelle il avait «sacrifié les plus primitifs devoirs humains, ceux de prendre soin de sa femme et de ses enfants», «en les laissant à l’Etat qu’il combattait». Condamné à quatre ans de réclusion pour service militaire à l’étranger et abus de l’uniforme, ainsi que pour voyages gratuits dans les transports publics, il n’a pas purgé sa peine et s’installa en Alsace.
A la fin de la guerre, lorsque l’agent de change et le courtier en bourse, Charles Angst, citoyen suisse, est entré à Genève dans son uniforme d’officier français, il a aussi été arrêté. Inapte au service en Suisse, ce sculpteur sur bois, dessinateur et fils d’un professeur d’art genevois, a dû témoigner auprès du juge d’instruction militaire. Il a notamment déclaré qu’à Londres, où il vivait depuis 1933 avec femme et enfant et s’était enraciné, il s’était senti moralement obligé d’aider le camp allié. En 1941, il a signé dans la capitale anglaise un contrat avec les Forces françaises libres (FFL), a été formé comme officier de liaison en Europe, au Maghreb et au Moyen-Orient. Grâce à de bonnes relations de son père, il n’a été condamné qu’à une peine de prison avec sursis de trente jours.
Enfant placé et casier judiciaire
Ancien enfant placé et trayeur de lait, porteur de pain et homme à tout faire, Fritz Wüthrich purgeait une peine pour vol au pénitencier de Witzwil. A sa sortie, il s’est engagé dans la Légion étrangère, puis a servi dans l’armée anglaise, en Libye et en Tunisie, puis dans l’armée américaine en Italie. Jugé en 1947 en Suisse, il a tenté de convaincre, en vain, les juges militaires qu’il avait contribué au sauvetage de la Suisse par son passage dans les armées alliées. Echappant à la condamnation d’«affaiblissement de la force de défense», il a écopé de six mois avec sursis, qu’il a dû purger, car il a également été condamné pour des délits mineurs.
Sur la base de 31 «exemples de cas» condensés, Peter Huber apporte lumière, couleur et nuance dans l’obscurité du sujet. Il a étudié la situation de 466 Suisses et Suissesses, dont 280 ont servi dans les FFL, 186 dans les FFI en France. Beaucoup d’entre eux étaient, comme Fritz Wüthrich, d’anciens légionnaires étrangers.
Pas d’indemnisation malgré les camps de concentration
Originaire du Locle, Gabrielle Mayor-Huguenin faisait des travaux de couture et de nettoyage chez des gens riches et a fait partie plus tard d’un réseau d’agents reconnus des Forces françaises de l’intérieur (FFI). Arrêtée à Dijon, elle a été interrogée et envoyée au camp de concentration pour femmes de Ravensbrück. Après la guerre, la Berne fédérale a refusé une rente d’invalidité à 70% pour cette «militante de la Résistance». Mais elle a tout de même reçu un modeste montant de 15’000 francs.
Issue d’une famille d’entrepreneurs et de politiciens libéraux de Neuchâtel, la décoratrice, Anne-Françoise Perret-Gentil, a aussi fait partie de la résistance française. Elle y était spécialiste de la collecte de renseignements sur les mouvements de troupes et dirigeait des collaboratrices de groupes de résistance. Elle a également été internée au camp de concentration de Ravensbrück. Après la guerre, elle n’a plus droit au statut de persécutée, Berne lui refusant une indemnisation. Partie en France, elle a obtenu une pension complète et la nationalité française.
Lumière dans l’obscurité
Il existe déjà nombre d’études scientifiques sur les volontaires suisses de la Guerre d’Espagne espagnols, mais pas sur les anciens résistants. En 2008, une initiative parlementaire a exigé la réhabilitation des volontaires républicains espagnols ainsi que des Suisses et Suissesses engagé.es dans la Résistance. La majorité de la Commission des affaires juridiques a déclaré en novembre 2008 qu’il y avait là une «lacune historique» et que les «motivations de leur engagement» se situaient contrairement aux volontaires espagnols, «dans l’ombre», mais seuls les premiers ont été réhabilités depuis 2008.
Le fait que les volontaires de la Résistance n’aient toujours pas été réhabilités est un anachronisme selon Peter Huber, ce qui ne contribue pas à sauver l’honneur moral de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale. Le travail scientifique de Huber évalue des dossiers nouvellement accessibles des Archives militaires de Paris et des Archives fédérales.
Peter Huber, Dans la Résistance, les Suisses volontaires aux côtés de la France (1940-1945). Chronos-Verlag Zürich 2020, 290 pages, 60 illustrations.
Reconnaissance exigée
Déposée en juin 2021, l’initiative parlementaire «Réhabilitation des Suisses et des Suissesses ayant participé à la Résistance française» a été déposée par le groupe des Verts, par l’entremise de Stéphanie Prezioso Batou. Elle n’est pas seulement été soutenue par des conseillers nationaux comme Denis de la Reussille, Tamara Funicello et Balthasar Glättli, mais aussi par des membres des partis bourgeois comme Marie-France Pasquier (centre) et Christian Wasserfallen (PLR). Elle n’a pas encore été traitée au Conseil national.
Comme les volontaires espagnols
L’initiative parlementaire de 2006, «Réhabilitation des volontaires suisses en Espagne» du socialiste saint-gallois, Paul Rechsteiner, prévoyait également la réhabilitation des Suisses ayant participé à la Résistance française. En raison du manque d’informations et de recherches historiques, la décision a été prise par le Parlement d’exclure ce groupe de la reconnaissance, mais la gauche ne désarme pas
«Loin des frontières suisses, ils ont combattu aux côtés des Alliés, où ils ont risqué leur vie et ont finalement contribué à la survie de la Suisse», explique Stéphanie Prezioso Batou. «De retour en Suisse, environ deux cents d’entre eux ont été condamnés à des peines de prison avec ou sans sursis. De plus, certains ont été exclus de l’armée, d’autres ont été privés de leurs droits politiques, tandis qu’une partie des résistants et des résistantes est restée sur le sol français pour échapper à ces sanctions. Une partie des volontaires sont tombés au combat après que la Suisse, dans l’attente de leur retour, les avait déjà condamnés par contumace», précise-t-elle encore.
La réhabilitation formelle exige une reconnaissance, mais pas de compensations financières, qui ont aussi été refusées aux volontaires espagnols et à ceux qui ont aidé les réfugiés pendant la Seconde Guerre mondiale.
DBn