Des échos venus de la mer Egée

Livre • Par un ouvrage bouleversant se voulant collectif, Mary Wenker parvient à porter jusqu’à nous les voix de celles et ceux fuyant les guerres et la misère qui, une fois les portes de l’Europe franchies, continuent d’être nié.es dans leur humanité.

Enseignante spécialisée et thérapeute ayant vécu en Suisse, aux Etats-Unis et en Grèce, Mary Wenker est pour son éditeur «engagée depuis toujours pour la défense des précarisés». Partie en avril 2016 pour sa première mission humanitaire, en tant que bénévole sur l’île de Kyos, en Grèce, elle n’a eu de cesse d’y retourner avec l’association qu’elle a créée par la suite, Choose Humanity.

Son premier recueil, Echos de la mer Egée: Voix de réfugiés, est un ouvrage dans la lignée de Lesbos, la honte de l’Europe de Jean Ziegler (voir Gauchebdo 21), qui en signe d’ailleurs la préface, laissant une forte place aux vécus de celles et ceux qui arrivent sur les côtes de l’Europe avec pour beaucoup «le fol espoir de pouvoir se reconstruire, garantir à leurs enfants un avenir meilleur, vivre en étant respectés, retrouver leur dignité».

L’enfer

Venus de Syrie, d’Afghanistan, du Pakistan, d’Irak, du Yémen, du Cameroun ou d’ailleurs, au travers d’un voyage «qui flirte avec l’enfer des heures durant», ils.elles embarquent au départ des côtes turques, sur des embarcations pneumatiques rudimentaires, en direction des îles grecques de Lesbos, Samos, Chios, Leros ou Kos. Arrivé.es, ces «désormais dénommés ‘‘réfugié.es’’ seront enregistré.es dans un «Hot Spot», centres officiels d’enregistrement, avant d’être «parqué.es dans des camps surchargés». Une entrée sur les terres d’Europe loin de ce qu’ils.elles avaient imaginé, certains passeurs allant jusqu’à prétendre que le tarif payé inclut quelques nuits à l’hôtel.

Dans certains camps, ces personnes, parfois mineures, vivent sans chauffage ni eau chaude dans une région où les températures nocturnes frôlent zéro degré. Le Maire d’un village voisin de l’un de ces camps parle d’une «zone où ne ferions pas vivre nos animaux» où «cinquante enfants âgés d’un mois à 14 ans», certains non-accompagnés, ont été placés, avec à leurs côtés des nourrissons et des femmes enceintes. «Je ne m’habituerai jamais à l’enfer croissant dont je suis témoin là-bas. Je ne veux pas m’y habituer. Le faire, ce serait me faire courir le risque de me taire. Et de faire taire les sans-voix dont je me veux quelque part la porte-parole», écrit Mme Wenker.

Soucieuse de faire de son recueil un projet commun, elle donne, justement, la parole plus ou moins directement à celles et ceux que nos Etats condamnent à des destins tragiques. Grâce à elle, nous rencontrons ainsi, tour à tour et parmi d’autres: Dimitri, un tailleur âgé de 70 ans originaire de Syrie, que la mort viendra faucher seul et à la rue, après qu’il a été placé dans un foyer qu’il se devait de quitter toute la journée; M’Bê, cette fille qui a fui son pays après que son grand amour, Béa, a été battue à mort en raison de son orientation sexuelle, et qui finira par obtenir une réponse positive à sa demande d’asile. Ou encore la petite Elker, âgée de six mois, qui ne viendra jamais au monde, faute d’accompagnement médical nécessaire pour sa jeune mère, mariée de force dans son pays d’origine, dont «la tradition n’attribue aux femmes qu’une place d’objet que l’on vend ou qui s’échange».

Des échos d’humanité

Si ces histoires nous font pleurer à leur lecture, il en est certaines qui nous font sourire et parfois même espérer. Toutefois, à l’instar de l’ouvrage de M. Ziegler, elles provoquent toutes en nous un sentiment de profonde honte. Celle de laisser nos dirigeant.es continuer à barrer la route de ces «réfugié.es» dont les cris et les rires nous parviennent depuis la mer Egée et font écho à notre humanité. n

Mary Wenker, Echos de la mer Egée: Voix de réfugiés, L’Harmattan, 2020