Après une carrière médicale de professeur de gynécologie-obstétrique au CHUV, Pierre De Grandi s’est mué en romancier. Son quatrième opus, Casimir ou la vie derrière soi, vient d’être publié. Disons-le d’emblée, celui-ci est remarquable, tant par le traitement des thèmes qu’il aborde que par l’élégance d’un style à la fois vif, alerte, riche par son vocabulaire, sans tomber jamais dans la préciosité.
L’auteur fait partie de ces médecins d’ancienne génération, encore empreints de culture tant musicale que littéraire ou encore philosophique. De son père et son oncle, les peintres Italo et Vincent De Grandi, il a hérité le don de voir et de décrire la nature, la floraison des végétaux, les variations de la lumière sur le lac Léman, qui ponctuent le récit de chaque journée. Car ce livre est le journal intime, tenu pendant sa dernière année de vie, par un homme de quatre- vingt-huit ans, Casimir, qui assiste à sa propre dégradation due au grand âge.
Ce narrateur présente certes quelques traits communs avec l’auteur, même si on ne saurait les confondre. C’est ainsi, par exemple, que revivent en lui des souvenirs d’enfance liés à l’Italie. Le personnage laisse aussi éclater quelques fureurs roboratives, qui sont certainement celles de l’auteur lui-même. Comme son rejet d’un certain art conceptuel, qui tient souvent du «foutage de gueule», à l’image d’un créateur italien nommé Manzoni qui, en 1961, réalisa une œuvre intitulée «Merda d’artista», en effet composée de quatre-vingt-dix boîtes contenant chacune 30 grammes d’excréments de l’artiste, dont l’une a atteint le prix de 220’000 Euros lors d’une vente aux enchères…
Pierre De Grandi réserve aussi de nombreuses flèches à l’Église catholique romaine, dont il dénonce les nombreuses turpitudes. En disciple des Lumières, il s’attaque en réalité à toutes les certitudes religieuses, surtout monothéistes, inventions des hommes pour se rassurer face à leur peur du néant, et qui ont abouti aux dogmatismes et aux pires fanatismes meurtriers.
Mais l’essentiel du livre est la réflexion profonde du narrateur sur la vieillesse, la fin de vie et la mort. Jour après jour, il observe les signes d’une lente déchéance physique, dont il refuse qu’elle le conduise au gâtisme. Il y a quelque chose chez lui des grands stoïciens de l’Antiquité romaine. Parfois on croit lire Pline l’Ancien ou Marc-Aurèle. Certaines phrases pourraient se lire comme des aphorismes antiques, telle celle-ci: «Quand les journées vous parais- sent longues, souvenez-vous que votre vie sera courte.»
La mort, cette grande inconnue, est attendue par Casimir avec certes un peu d’appréhension légitime, mais surtout avec un grand détachement, voire un certain désir. Ce qu’il refuse en revanche avec véhémence, c’est la dégradation physique et surtout mentale. Ainsi, il refuse avec horreur la perspective de la fin de vie en EMS, à laquelle il consacre quelques pages cruelles de vérité. Il voudra donc faire de sa mort «un projet plutôt qu’une défaite».
Et la dernière partie du récit prend l’allure d’une «sorte de manifeste» en faveur d’une «interruption volontaire de vieillesse» (IVV) qui serait un pendant de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Elle permettrait à ceux qui le désirent, car ils ne veulent pas sombrer dans la totale déchéance, de faire appel aux services d’un médecin pour obtenir le moyen de mettre fin à leurs jours, sans devoir recourir à ces expédients entourés de frayeur et d’horreur, tels la pendaison, la noyade ou la défénestration.
Mais que l’on se rassure! Le livre est certes grave, il n’est jamais morbide ni totalement noir. Il est zébré de traits d’humour. Et surtout, il fait une part belle à l’amitié, celle que voue Arthur à son ami Casimir. On peut donc qualifier ce dernier roman de Pierre De Grandi d’œuvre profondément humaniste.
Pierre De Grandi, Casimir ou la vie derrière soi, Genève, Slatkine, 2021, 321 p.