La première de ces expositions, plaisamment nommée XXL, est consacrée aux travaux sur papier de grand format. Longtemps, le dessin s’est contenté de dimensions relativement modestes. Il était surtout considéré comme un acte préparatoire en vue de la peinture. Et les grands formats étaient réservés aux sujets «nobles», comme la peinture d’histoire et religieuse. Mais le dessin s’est peu à peu émancipé, il est devenu un genre en soi, et les artistes contemporains ne craignent pas de travailler sur des formats géants. L’œuvre la plus grande de l’exposition ne mesure pas moins de cinq mètres sur douze! Une trentaine d’artistes, suisses et étrangers, sont représentés au Musée Jenisch. Certains sont célèbres, comme Pierre Alechinsky, qui a joué un rôle important dans le mouvement d’avant-garde CoBrA (Copenhague-Bruxelles-Amsterdam).D’autres sont à découvrir.
Des «chevaliers de l’Apocalypse»
On peut distinguer quelques grandes tendances. La nature, les forces maritimes, terrestres et cosmiques sont très présentes. Par exemple, Emmanuel Wüthrich a réalisé Vague (I), constitué de 128 feuillets. Son travail fait écho à celui de Gustave Courbet, qui a peint un tableau portant le même titre. Dans une veine similaire, on remarquera La montagne silencieuse de Martial Leiter. Jean-François Lüthi, avec Lisière, obtient en noir-blanc un effet semblable à celui des Pointillistes. Alain Huck, dans Ruta, constitué de trois panneaux, rend particulièrement bien le fouillis et les entrelacs de branches d’une nature laissée à elle-même.
Mais d’autres thématiques apparaissent aussi dans l’exposition. Line Marquis mêle habilement des «chevaliers de l’Apocalypse», un poulpe géant qui semble tout droit sorti de Jules Verne et une vague de tsunami pareille à celle peinte par le Japonais Hokusaï au XIXe siècle. Joël Person, fasciné par le monde du cheval, se réfère explicitement à Eugène Delacroix et Théodore Géricault. La composition géante de Jérôme Zonder, qui occupe une paroi entière, juxtapose images érotiques et drames politiques contemporains (explosion nucléaire, guerres, attentats). La couleur est rarement présente dans le choix opéré par le Musée. Elle apparaît pourtant dans la belle œuvre de Françoise Pétrovitch, qui associe un corps féminin étendu, réalisé avec une technique qui se rapproche de celle de la BD, et un oiseau qui introduit une dimension poétique.
A la jonction du Cubisme et de l’Expressionnisme
La seconde exposition est dévolue à l’artiste américain Lyonel Feininger (1871-1956), à l’occasion du 150e anniversaire de sa naissance. Il gagna rapidement Paris et l’Allemagne. Il fit ses débuts, notamment comme caricaturiste (parfois d’esprit antimilitariste). En 1919, il fut engagé comme «maître» par le Bauhaus à Weimar puis Dessau. Considéré comme artiste «dégénéré» par les nazis, il regagna les États-Unis en 1937.
On peut admirer deux ou trois de ses huiles, dont Fin de séance à la Bourse de Paris (1908), qui révèle un sens prodigieux du mouvement, avec ses banquiers pressés de regagner leur logis. Mais Feininger est surtout resté célèbre comme graveur sur bois. Natif de New York, il s’est particulièrement intéressé au thème de la ville. Si son art se rapproche de l’Expressionnisme allemand, il fut aussi fortement marqué par sa découverte du Cubisme en 1911 et, par ce biais, se rapprocha de l’abstraction, par exemple dans Maisons à Paris (1918). On remarquera particulièrement une extraordinaire gravure intitulée La Porte, où l’artiste est parvenu à rendre en noir-blanc l’effet des rayons du soleil sur la ville. Ainsi qu’une jolie série de figures de bois miniatures créées pour ses enfants. Rappelons que, dans l’esprit du Bauhaus, art, artisanat et industrie ne devaient pas être séparés.
Passion maritime
Lyonel Feininger a développé une autre passion, celle pour les ports. En Allemagne, il a beaucoup fréquenté les rives de la Baltique. Il a représenté toutes sortes de bateaux, de pêche, de guerre, des voiliers, avec une prédilection pour les majestueux trois-mâts. Et cela en usant d’une technique minimaliste, se bornant à quelques traits. Si bien qu’une gravure de Feininger est immédiatement reconnaissable!
Lors de sa présence à Jenisch, le visiteur ne doit pas oublier qu’il a toujours la possibilité de voir ou revoir la petite mais remarquable collection permanente, ainsi qu’un choix de toiles d’Oskar Kokoschka, dont le musée possède la plus grande collection au monde. n
«XXL Le dessin en grand», jusqu’au 27 février 2022 et «Lyonel Feininger. La ville et la mer», jusqu’au 9 janvier 2022, Musée Jenisch, Vevey.