Les Etats anti-avortement

La chronique féministe • Le droit à l’avortement fut l’objet d’une longue lutte et ne fut «accordé» aux femmes que tardivement.

Manifestation aux Etats-Unis pour le droit à l'avortement, (Becker1999)

Au milieu de l’été, le journal Le Courrier est revenu sur la question de l’avortement en Italie. L’avortement est la condition première pour que les femmes puissent choisir les enfants qu’elles vont mettre au monde. J’ai toujours été horrifiée à la pensée qu’on puisse obliger une femme à mener à terme une grossesse qu’elle ne désire pas. C’est le comble du non-respect. On décide pour elle, au nom d’idéologies d’extrême droite. Je me demande ce qui se passe ensuite, quand la femme a accouché d’un être qu’elle ne désire pas. Comment peut-elle s’en occuper, l’aimer? Comment peut-elle, dans sa détresse, en faire un être épanoui? Si tous les enfants étaient désirés, le monde se porterait certainement mieux.

Le droit à l’avortement fut l’objet d’une longue lutte et ne fut «accordé» aux femmes que tardivement. Et encore, essentiellement dans les pays de l’hémisphère Nord, plus l’Australie et la Nouvelle Zélande. L’Afrique l’interdit, à part l’Afrique du Sud, le Mozambique et la Tunisie. Tout le Proche-Orient, l’Océanie, en gros, les pays musulmans. Mais aussi l’Amérique latine, sauf l’Argentine, la Guyane et Cuba (depuis 1965).

L’URSS est le premier pays à avoir autorisé l’avortement, en 1920, interdit par Staline en 1936, restitué en 1955. Mais aujourd’hui, il est remis en question par la partie conservatrice de la société. Rappelons quelques dates: la France a décriminalisé l’avortement en 1975, après le procès Bobigny et le manifeste des 343. Le Royaume-Uni en 1967, l’Allemagne en 1995, la Suisse le 2 juin 2002. L’avortement a été légalisé au Portugal en 2007, mais devient payant à partir de 2015. L’Espagne en 2010. Depuis 2018, Chypre s’est aligné sur la majorité des Etats européens, accordant la liberté d’avorter durant les 12 premières semaines d’aménorrhée sur simple demande. Même la très catholique Irlande a voté pour l’IVG en 2018. En Europe, Andorre, Malte, la Pologne (sauf exceptions) et le Vatican sont les 4 derniers pays à interdire l’avortement.

La Pologne n’accordait l’IVG que dans trois cas de figure: la malformation du fœtus, le danger pour la mère et le viol. Or le 22 octobre 2020, le Tribunal constitutionnel polonais révoque la clause de la malformation du fœtus, indiquée dans la disposition de 1993. Celle-ci représentait 98% des avortements en 2019, sa révocation revient donc à une interdiction quasi-totale. Les deux clauses restantes n’ont représenté que 26 cas en 2019, dans un pays qui compte 39 millions d’habitants…

Au Maroc, les relations extraconjugales sont passibles de prison ferme et l’avortement est limité, ainsi, 50’000 naissances hors mariage sont enregistrées chaque année, ce qui entraîne de nombreux abandons d’enfants et infanticides.

La journée mondiale du droit à l’avortement est célébrée chaque année le 28 septembre, car dans le monde entier, le droit et l’accès à l’avortement continuent d’être entravés. Dans le droit moderne, le nouveau-né n’acquiert sa personnalité juridique qu’à la naissance. C’est pourquoi on ne peut pas parler d’homicide en cas d’avortement, ce que veulent faire croire l’Eglise catholique et les pays répressifs. De toute manière, une femme m’a toujours paru plus importante qu’un embryon de quelques grammes.

Aux USA, ce n’est pas une loi qui autorise l’IVG, mais l’arrêt constitutionnel «Roe v. Wade» de la Cour suprême en 1973: le droit d’une femme à l’avortement concerne le droit à la vie privée, protégé par le 14e amendement, l’avortement fut ainsi autorisé dans tout le pays. Mais des extrémistes contestent ce droit, menacent les médecins qui pratiquent l’IVG, en ont même tué au nom du respect de la vie (!) et plusieurs Etats durcissent leur législation depuis 2019: l’Alabama, la Géorgie, l’Ohio, la Louisiane, le Mississippi, le Kentucky, l’Iowa, le Dakota du Nord, et le Texas. En janvier 2020, la plupart des représentants du Parti républicain au Congrès (166 sur 198, ainsi que 39 sénateurs sur 52) signent une lettre dans laquelle ils demandent à la Cour suprême de revenir sur la légalisation de l’avortement. Comme Trump y a placé 3 réactionnaires, les féministes tremblent à l’idée que le droit fondamental de disposer de son corps soit remis en cause.

Il est effarant de constater ces reculs dans des pays occidentaux, même en Europe. En Italie, qui a accordé le droit à l’avortement en 1978, 80% des gynécologues refusent de pratiquer des IVG. Les médecins ont en effet le droit de refuser de pratiquer une intervention médicale si celle-ci va à l’encontre de leurs croyances. Ainsi, dans certaines régions, il est devenu presque impossible d’accéder à une IVG. Dans la culture conservatrice et catholique italienne, l’objection de conscience est la norme. Les manifestations «provie» sont de plus en plus importantes. Or on a vu comment l’Eglise catholique respecte la vie…

Sous l’influence des médecins plus âgé.es, les étudiant.es en médecine apprennent très tôt qu’il est plus avantageux d’être objecteuse.eur. Le résultat, c’est qu’il n’existe plus que 291 structures hospitalières où il est possible d’accéder à une IVG. De nombreuses régions gouvernées par la droite boycottent ouvertement le droit à l’avortement en plaçant les gynécologues non objecteuses.eurs dans d’autres services qui ne pratiquent pas d’IVG, ou en prolongeant les démarches administratives nécessaires, afin de dépasser le délai pendant lequel une IVG peut être pratiquée. Cette situation s’est drastiquement dégradée pendant l’épidémie de Covid-19. De nombreuses structures qui garantissaient l’accès aux IVG ont alors fermé pour faire face à l’urgence, sans être rouvertes depuis. Enfin, certains hôpitaux ne garantissent plus l’accès à l’IVG, car le ou la seul.e gynécologue non objecteuse.eur est parti.e à la retraite. Conséquence: on estime entre 15’000 et 20’000 le nombre d’avortements clandestins effectués chaque année, qui sont dangereux pour la santé des femmes, voire mortels. L’Italie ne peut donc plus être considérée comme un pays où l’accès à l’avortement est un droit.

J’ai l’impression de revenir au début des années 70, dans les luttes féministes en faveur de l’IVG. Lorsque les lois ont enfin été votées, nous avons cru en notre victoire. C’était sans compter avec les machistes, sexistes, misogynes, réactionnaires de tout poil qui ne supportent pas que les femmes disposent librement de leur corps. Notre lutte est sans fin.