Cette acceptation pourrait débou- cher sur une loi de régulation du cannabis. Responsable des questions stratégiques et politiques du Groupement romand d’études des addictions (Grea), Jean-Félix Savary nous éclaire sur les enjeux de cette décision.
Votre groupement a salué la décision prise par la commission de santé des Etats. Pourquoi cette ouverture est positive?
Jean-Félix Savary L’ancien secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan disait que la drogue avait tué beaucoup de personnes, mais que les mauvaises politiques de la drogue encore plus. Le Grea n’est pas pour les drogues et le cannabis en est une, mais contre leur prohibition et pour réguler la substance. La Suisse peut aller de l’avant. Cela fait vingt ans que la pro- position a été lancée par Ruth Dreifuss, suivie par Pascal Couchepin, mais des blocages moraux et une politique conservatrice ont ralenti le processus. Aujourd’hui, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) avance à petits pas et mène des projets pilotes, très axés sur les aspects pathologiques et probablement trop stricts.
Il faut aller plus loin, arrêter de penser en termes d’homme idéal, accepter la réalité telle qu’elle est en Suisse en matière de consommation, notamment pour assurer une bonne qualité des substances. Et prendre son courage par les deux mains. Les chiffres de la répression montrent que les infractions concernent avant tout les petits consommateurs.trices, mais que les réseaux sont peu inquiétés, ce qui entraîne des discriminations, ou empêche la prévention. Il faut aller dans le sens d’une politique des drogues plus progressiste et compréhensive.
Quel modèle de régulation privilégieriez- vous? Comment organiser ce marché?
Ce marché n’est pas différent de celui de l’électricité, de l’automobile ou des médicaments. Dans une logique libérale, les grandes entreprises d’alcool ou de tabac monopolisent le marché pour imposer leurs produits. Le Grea n’est pas pour cette vision de pure maximalisation des profits et nous défendons un modèle plus réglementé, voire sans but lucratif. Suite à la légalisation du cannabis au Canada, la province du Québec a mis en place un modèle intéressant, avec un monopole d’Etat, qui interdit la publicité pour le cannabis. Le système permet d’offrir un produit accessible et de bonne qualité, sans que l’on n’ait constaté une augmentation de la consommation. Il permet aussi une bonne redistribution à travers les taxes.
Pour nous, le modèle doit profiter à l’économie locale. A ce titre, il est intéressant de constater que la motion approuvée par la Commission émane d’un élu paysan, Heinz Siegenthaler, après une première initiative de la Verte Maya Graf, elle aussi paysanne.
Un second modèle serait celui présenté au Grand Conseil genevois en 2014. Il serait géré par des associations de consommateurs.trices, qui pourraient faire de l’auto-prévention, dans une logique sociale dans la répartition de la substance, ce qui préviendrait les risques. Un système purement étatique n’est pas dans l’ADN de la Suisse et l’on pourrait aussi imaginer un modèle hybride, en convergence entre les milieux de la prévention et celui des producteurs suisses et des petits paysans, qui éviterait les importations à bas prix des grands groupes nord- américains comme l’ontarien Canopy Growth, qui pèse 30 milliards de dollars canadiens.
Ne craignez-vous pas l’apparition d’un grand groupe en Suisse, qui gérerait toute la production?
Le principe d’intérêt des grands groupes comme on le voit avec Facebook, c’est d’être en position de mono- pole pour accroître sa rente. En Suisse, l’association de l’industrie du canna- bis (CI-Chanvre) reste un petit acteur. L’organisation a aussi ratifié avec notre association un modèle de développement en dix points, qui com- prend notamment la régulation du marché ou la promotion de normes. Mais pour l’heure, le point crucial est de trouver une majorité pour le projet. Le probable référendum contre une loi de dépénalisation permettra d’ouvrir les débats.