«Il y a une vingtaine d’années, une des grandes enseignes du secteur était fermée le lundi matin, l’autre le mardi après-midi, et toutes l’étaient entre midi et 14 heures. Depuis quelques années, elles ouvrent aussi dès 7h30 ou 8 heures. Aujourd’hui, les conditions de travail se sont largement détériorées, alors que les salaires n’ont pas augmenté. Quand on a un enfant en bas âge, on est obligé.e de recourir à une aide pour l’accompagner ou le ramener de l’école, ce qui coûte», lance Carmela, qui travaille dans la vente depuis 23 ans.
Une dérégulation qui précarise
Son témoignage a servi de préambule à la conférence de presse qu’organisaient les syndicats, la gauche et les Vert.es. Ceci en vue de la votation du 28 novembre sur une modification des horaires d’ouverture des magasins. Cette dérégulation remonte à loin selon Josiane Haller, députée d’Ensemble à Gauche. «En 2016, notre initiative «Touche pas à mes dimanches» a été refusée au profit d’un contre-projet. Qui impliquait une ouverture de 3 dimanches par an en plus du 31 décembre, en échange d’une CCT. Or, en 2018, les patrons ont fait passer la rampe à un projet de loi expérimentale abolissant l’obligation de négociation des conditions de travail et pérennisant cette ouverture de trois dimanches. Ceci après une négociation de CCT avec une association non représentative à Genève, celles des employé.es de commerce (SEC). A l’issue de ces deux ans, le Conseil d’Etat est revenu avec un nouveau projet de loi d’ouverture, avec l’aide de la droite du parlement, un projet que nous combattons», a-t-elle expliqué.
Pour la Communauté d’action syndicale (CGAS), représentée par Joël Varone, cette dérégulation ne va pas créer de l’emploi, mais bien plutôt précariser le travail. Et de sortir ses chiffres. «En 1970, 11% du personnel travaillait à temps partiel. Ce chiffre est monté à 46% en 2016 et on doit avoir dépassé la limite des 50% aujourd’hui», dénonce-t-il. «Seule une CCT permettrait d’inverser cette tendance, mais les patrons n’en veulent pas et préfèrent passer en force». Il rappelle qu’aujourd’hui le travail dans la vente requiert une polyvalence extrême, où les employé.es sont à la caisse, surveillent les points de vente automatiques, transportent des palettes et achalandent les rayons, tout en devant nettoyer.
Secteur économiquement positif
Pour le représentant des Vert.es, Pierre Eckert, le secteur se porte bien. «Le Géant orange a vu son chiffre d’affaires augmenter de 425% en 2020 en Suisse et de 1% à Genève, malgré la fermeture de ses restaurants et la baisse de 0,7% sur ces prix. L’office cantonal de la statistique (OCSTAT) a démontré que la situation des affaires est franchement bonne dans le secteur alimentaire. Il n’existe aucune nécessité de relance, car les client.es sont revenu.es dans les magasins», explique l’écologiste.
«On assiste à un changement de paradigme», estime Pablo Cruchon, député de la nouvelle formation issue de solidaritéS, Résistons! Il affirme: «Le conseil d’Etat n’est plus l’intermédiaire entre les partenaires sociaux, mais s’implique fortement auprès du patronat pour modifier les contrats de travail, sans aucune consultation du personnel». L’homme estime que le référendum de la gauche contre la LHOM est avant tout un référendum contre l’absence de CCT dans la branche.
Personnel pénalisé
Député du Parti socialiste, Cyril Mizrahi craint pour la survie du petit commerce ou de ceux que l’on appelle les dépanneurs. «Leurs propriétaires peuvent déjà ouvrir en dehors des horaires définis dans la loi, à condition qu’ils n’occupent pas de personnel. Cette disposition est un avantage certain pour les petites entreprises, dans la lutte acharnée pour survivre face aux grosses enseignes. En permettant d’étendre les horaires d’ouverture des commerces, la destruction des petits commerces va s’accélérer significativement», relève-t-il.
Pour le président du PdT, Alexander Eniline, la révision ne permettra pas de lutter contre le tourisme d’achat en France ou le e-commerce, comme le soutient la droite. «Le franc fort pénalise les exportations suisses, mais pas les importations, ce qui offre un avantage supplémentaire aux grandes surfaces. Et si le commerce en ligne comme Amazon offre des prix plus bas, c’est au prix d’une exploitation des salarié.es, que nous ne voulons pas», argumente-t-il.
Même s’il est prévu que la nouvelle LHOM biffe les nocturnes du jeudi (jusqu’à 21h), les référendaires n’en démordent pas: «Ces soirées n’ont jamais marché, alors le patronat essaie avec le jour le plus pénible pour le personnel, le samedi». Pour conclure, ils affirment: «La création d’emplois induite par l’extension des horaires d’ouverture sans protection des salarié.es est un leurre, qui se traduit par des horaires fractionnés sur la semaine pour le personnel déjà employé. Le personnel de livraison, de nettoyage, de sécurité et des transports fera aussi les frais de cette extension».