Tout commence par une lettre ouverte de la Grève du climat Vaud (GC) adressée le 11 mai 2020 au gouvernement, au Département fédéral de la défense, ainsi qu’à l’armée. Le mouvement de protection du climat y appelle à une grève militaire. «Par éthique, morale, responsabilité écologique et sociale, nous ne consentons pas à payer la taxe, ni à aller au service militaire» écrivait la GC à l’époque, appelant par communiqué à être suivie dans cette démarche. Cet appel semble avoir déplu en haut lieu. Le 26 mai dernier, trois militants de la GC ont été perquisitionnés, aux aurores, à leur domicile, par la Police judiciaire fédérale (PF), dans le cadre d’une instruction pénale pour «provocation et incitation à la violation des devoirs militaires».
Cette semaine, le mouvement écologiste adressait une autre lettre ouverte à la Cheffe du Département vaudois de l’environnement et de la sécurité, la Verte Béatrice Métraux. La missive évoque une inquiétude quant à la présence lors des perquisitions, d’un agent du Service de renseignement cantonal (SRCa). Si la réponse de la Conseillère ne s’est pas fait attendre, certains flous persistent dans cette affaire et au-delà.
L’agent D.
Dans son courrier public du 7 octobre à Mme Métraux, la GC souligne que son appel à la «grève militaire» relève de la liberté d’expression, garantie par la Convention européenne des droits de l’Homme, et ne peut être réprimé dans une société démocratique. Elle rappelle que les mesures de contraintes et le déploiement d’un dispositif policier, «disproportionnés», avaient fait grand bruit dans la presse, ravivant le débat sur les techniques répressives utilisées contre un groupe d’opposition politique pacifique.
Toutefois, l’objet principal du courrier est la présence de l’agent D. En effet, une lettre en possession de la GC mentionne que trois jours avant les perquisitions, le Procureur fédéral Marco Renna a informé le Procureur général vaudois Eric Cottier de l’opération menée par la PF et sollicité le soutien de la police cantonale. On y apprend que la PF a été «appuyée notamment par Monsieur D., Inspecteur principal adjoint auprès de la SRCa de la police cantonale vaudoise».
«Pêche» opportuniste?
Comme le rappelle la GC, le SRCa effectue des missions de renseignement dans l’intérêt de la sécurité de l’Etat. Il est l’organe qui communique avec le Service de Renseignement de la Confédération (SRC). «Si le but de l’opération était limité à des mesures d’enquête sur le prétendu délit d’expression publique que constituait la lettre ouverte appelant à la grève militaire, pourquoi engager les services de renseignement du canton dans la démarche?», s’interroge le mouvement environnementaliste. Il craint que la lettre ouverte ait été un prétexte pour mener des perquisitions à des fins exploratoires. C’est-à-dire ayant en réalité pour but d’enquêter plus largement sur le fonctionnement de ce mouvement social.
«Il va sans dire que de telles expéditions de fishing (hameçonnage) sont interdites dans un Etat de droit», ajoute la GC. Ceci avant de demander à Mme Métraux si la GC ou d’autres mouvements écologistes, font l’objet de mesures de surveillance du SRCa et si celui-ci a reçu une requête les concernant de la part du SRC. Pour rappel ce dernier n’est autorisé à rechercher du renseignement que sur les organismes désignés par une liste évolutive validée par le Conseil fédéral.
Planification policière
Dans un courrier daté du 7 octobre, Mme Métraux réagit à ces «graves soupçons». Selon la Conseillère d’Etat, la présence de Monsieur D. serait due à la planification des ressources policières. «L’inspecteur D. que vous mentionnez… a été mobilisé par la police cantonale en tant que policier astreint à la permanence planifiée la semaine de l’opération, au même titre que les cinq autres inspecteurs», écrit la magistrate. Elle précise que «l’inspecteur D. n’a donc nullement agi comme collaborateur du SRCa, mais uniquement comme inspecteur de police judiciaire». Elle ajoute concernant la liste des organismes que le SRC est autorisé à surveiller qu’«il n’y figure pas de partis politiques suisses ou de mouvements tels que la GC, et que le SRCa n’y déroge pas.».
Les doutes persistent
Si du côté de la GC on remercie Mme Métraux pour sa réponse, et on apprécie la confirmation que le mouvement n’est pas dans la liste des organismes à surveiller, le doute reste quant au fait que l’agent D. n’ait péché aucune information. «On a passablement de la peine à le croire» réagit Kelmy Martinez de la GC, l’un des trois militants perquisitionnés. «Nous avons la confirmation qu’il était présent. Ce qu’il a vu et entendu, il aura bien du mal à l’oublier! Ce qu’il a observé pourrait lui servir même si nous ne sommes pas sur la liste», explique-t-il. Avant d’ajouter que le fait que D. soit nommé y compris dans sa fonction (contrairement aux 5 autres inspecteurs) dans la lettre de M. Brenna reste questionnant?!». En somme pour le militant, le fait que des agents puissent porter plusieurs casquettes, tantôt du renseignement, tantôt de la police, entraîne un risque quant à ce qu’ils feront des informations qu’ils récoltent, fût inconsciemment.
Par-delà la question d’agents possiblement «couteaux suisses», M. Martinez juge les perquisitions disproportionnées. «De quoi avaient-ils besoin de plus? Il s’agissait d’une lettre ouverte, et donc publique. Nous étions parfaitement identifiés», s’exclame-t-il, soulignant la violence que constitue une intrusion policière dans l’intimité, qui plus est pour réprimer une libre expression. Il voit comme produit de ces méthodes un effet dissuasif qui pourrait détourner certain.es de la lutte par peur de subir cette répression.
Concernant l’entrée en vigueur prochaine de la Loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT), qui élargit encore, les pouvoirs de la PF, M. Martinez lance, «on voit avec cette affaire qu’elle a déjà des moyens répressifs vis-à-vis de militant.es de mouvements pacifiques. Avec ces nouveaux pouvoirs, il y a de quoi vraiment avoir peur d’un nouveau scandale des fiches». Il conclut quant à la crédulité que l’on pourrait avoir dans les différents pouvoirs pour protéger nos droits et libertés, à titre personnel et politique: «Je n’ai pas confiance en un appareil bourgeois dont on connaît l’amour pour le répressif, plutôt que pour garantir la pluralité d’opinions».