On connaissait le scandale de la pédophilie dans l’Eglise catholique partout dans le monde: Australie, Allemagne, Etats-Unis, Irlande, Pays-Bas… Mais le rapport Sauvé (qui porte bien son nom), rendu public mardi 5 octobre dernier sur le scandale de la pédophilie en France, a sidéré même les plus averti.es par le nombre de victimes et de prédateurs.
Avant tout, il faut insister haut et fort sur un fait: 95% des prédateurs sont des hommes, non seulement au sein de l’Eglise, mais dans les familles, les écoles, les clubs sportifs, les cours de danse, de musique, de théâtre, les colonies de vacances, les associations de scoutisme, partout où il y a des enfants. Des pervers recherchent d’ailleurs les lieux d’éducation aux enfants pour assouvir leurs sinistres penchants.
Le rapport Sauvé, 3000 pages, est un rapport exemplaire, unique à ce jour, fondé sur la parole des victimes. Il est le fruit de 3 ans d’écoute, de moyens importants mis en œuvre, d’analyses sociologiques. La commission, indépendante, a été financée, il faut le relever, par la Conférence des Evêques de France. Le rapport révèle des chiffres effrayants: sur une période qui s’étale entre 1950 et 2020, au moins 216.000 mineurs ont été victimes de prêtres, diacres et religieux. Si l’on ajoute les personnes agressées par des laïcs travaillant dans des institutions de l’Eglise (enseignants, surveillants, cadres de mouvements de jeunesse…), le nombre monte à 330.000. La Ciase (la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise) a aussi évalué entre2900 et 3200 le nombre d’agresseurs. Cette fourchette représente 2,5% à 2,8% des 115.000 prêtres et religieux qui ont exercé pendant les 70 ans étudiés. Mais la Ciase estime qu’un ratio proche de 3% est une estimation minimale.
Le rapport s’est fondé sur un échantillon de 28.000 personnes, à qui l’on a demandé: «Quand vous étiez jeunes, êtes-vous allés au catéchisme, en colonie de vacances, dans des clubs de sport, des cours de musique, avez-vous subi un acte sexuel? Qui en était l’auteur, quel âge aviez-vous?». Les membres de la commission ont mené des entretiens approfondis qui pouvaient durer 2-4 heures. On trouve une prévalence d’enfants entre 10 et 13 ans. Le problème concerne, ici aussi, tous les milieux. Si les victimes sont majoritairement des filles dans les familles, les organisations sportives et artistiques, elles sont majoritairement des garçons au sein de l’Eglise. Et si 40% des victimes parlent, 60% se taisent, encore aujourd’hui. Pendant des décennies, les agressions sexuelles, les viols dénoncés ne suscitaient qu’indifférence. Les victimes étaient ignorées, l’Eglise s’occupait éventuellement des prêtres, les confessait… et les changeait de paroisse ou les envoyait en Afrique! Ce qui fait que les prêtres prédateurs commettaient leurs crimes ailleurs, multipliant ainsi le nombre de victimes. L’omerta régnait, depuis la base jusqu’aux plus hautes instances, comme l’a montré l’affaire Preynat.
Le rapport aborde la lourde responsabilité de l’institution dans les crimes commis. Les silences et les défaillances de l’Église catholique face aux actes de pédocriminalité commis en son sein depuis les années 1950 présentent un caractère systémique. «L’Eglise n’a pas su voir, n’a pas su entendre, n’a pas su capter les signaux faibles», a estimé le président de la Ciase, Jean-Marc Sauvé, devant la presse. Selon lui, les Ecritures ont été parfois «déformées ou travesties», laissant la porte ouverte aux abus.
La politique de prise en charge des curés visait en réalité à protéger l’institution, et à maintenir les défaillants dans le sacerdoce. Sauvé évoque une«indifférence profonde, et même cruelle, à l’égard des victimes»,jusqu’au début des années 2000. «Il faut se départir de l’idée que les violences sexuelles dans l’Eglise ont été éradiquées. Le problème subsiste», ajoute-t-il.
Sur l’ensemble de la population, les données extrapolées de la Ciase donnent des résultats effrayants: 3,9 millions de femmes et 1,5 million d’hommes ont subi des agressions sexuelles avant leur majorité, soit 14,5% des femmes et 6,4% des hommes. Dans l’ensemble, 6% des cas d’abus ont eu lieu dans le cadre ecclésial. L’étude s’est efforcée de situer ces violences dans le contexte général des violences sexuelles commises. Elle montre que si la grande majorité des violences sexuelles sur mineurs ont été perpétrées dans le cadre familial ou amical, «il en a été commis dans le cadre de l’Eglise catholique significativement plus que dans les autres sphères de socialisation». Les deux institutions fonctionnent sur un modèle patriarcal, ce qui favorise l’exposition des personnes socialement «dominées» que sont les femmes et les enfants aux violences masculines.
L’Eglise catholique a toujours eu un problème avec la sexualité et un discours inadapté. Sa hiérarchie rigide, composée uniquement d’hommes, est le fondement du problème. Le côté «sacré» de la personne du prêtre rendait les victimes encore plus dépendantes et impuissantes que dans un autre contexte. Personne ne croyait les enfants, pas même leurs parents. Et comme l’évêque couvrait le prêtre, le piège se refermait hermétiquement.
L’encyclique de Paul VI «Humanae Vitae», 1968, contre la conception et l’avortement, a durablement figé une représentation morale décalée par rapport à la société. Il était plus grave de divorcer ou d’avorter que de violer un enfant! Or le social devrait l’emporter sur le moral.
À l’avenir, il faudrait améliorer le recrutement des prêtres, apprendre à discerner les pervers, lever l’obligation de célibat. Il faut définitivement lever le secret de la confession quand un crime est en cause. Les prêtres devraient avoir l’obligation de les dénoncer à la justice. Dans l’immédiat, on devrait démettre de leurs fonctions non seulement les abuseurs mais aussi tous les évêques qui, mis au courant, ont couvert ces crimes. Enfin, il faut faire entrer davantage de femmes: il y avait des femmes prêtres dans l’Antiquité. Il faut sortir de l’androcentrisme, du patriarcat, qui provoquent des inégalités et de la violence. L’Eglise catholique a un siècle de retard. L’Eglise protestante a eu sa première femme pasteure en Suisse en 1930, en France en 1949. Il y a même des femmes imames aujourd’hui! Qu’attend l’Eglise catholique pour s’adapter à la société?
Si toutes les institutions étaient égalitaires, en représentation comme en doctrine, de tels abus seraient beaucoup plus rares. Et les enfants, mieux protégés, deviendraient des adultes épanouis…