«On est sûr à 100% que la Conférence des parties aboutira à une déclaration finale, mais je suis plutôt pessimiste en ce qui concerne les résultats qui pourront en sortir», lance sous forme de boutade, Martin Beniston, à l’occasion du débat organisé cette semaine par le Club suisse de la presse à Genève. Le climatologue et professeur honoraire à l’Université de Genève, relève ainsi que le Fonds vert pour soutenir les économies du Sud se monte aujourd’hui à 79 milliards de dollars, 12 ans après son lancement, encore loin des 100 milliards promis.
«Pour un pays comme le Bangladesh, qui devra sécuriser ses côtes du fait de la montée des eaux, cette somme ne sera même pas suffisante», relève le scientifique. Son avis tranche avec celui des chefs de missions anglais et français, qui considèrent que la volonté politique est bien là pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 1,5°C par rapport à 1990. «Face aux changements, il n’y a pas grands et de petits Etats. Il faut que tous s’engagent avec des résultats mesurables, vérifiables, et sur le long terme», assure l’ambassadeur hexagonal Jérôme Bonnafont, qui croit à 100% au succès de la conférence. Pourtant, les engagements concrets font singulièrement défaut, à l’heure ou certains pays comme la Pologne, l’Allemagne ou la Chine continuent à plébisciter le charbon comme énergie.
Compensation carbone, un leurre?
Quels sont les enjeux de cette conférence? Selon l’association française CCFD-Terre solidaire, le but est de concrétiser la lutte contre l’émission des gaz à effet de serre (vapeur d’eau, dioxyde de carbone, ozone et méthane pour les plus importants). Mais les négociations restent bloquées sur deux enjeux essentiels du manuel d’application, qui doit encadrer la mise en œuvre effective de l’Accord de Paris de la COP 21 en 2015. Parmi les principaux points d’achoppement, on retrouve avec l’article 5, la mise en place d’un mécanisme identifiant les soutiens techniques et financiers nécessaires aux pays et populations victimes des dérèglements climatiques.
«C’est une revendication importante dans la mesure où les premières victimes des dérèglements climatiques sont aussi souvent les moins émettrices de gaz à effets de serre», note l’association. L’article 6 relatif aux mécanismes de marché carbone pose aussi problème. Celui-ci prévoit la mise en place d’un système d’échange de droits d’émissions de gaz à effet de serre et de compensation carbone entre les pays qui en émettraient trop et ceux qui en émettent moins, souvent au Sud.
Une voie qu’a choisie la Suisse. Elle reste sur son engagement d’être neutre en émissions carbone en 2050. Ceci via 50% de réduction sur le territoire national et 50% par l’achat de permis de compensation à l’étranger. Le gouvernement helvétique prévoit d’augmenter son soutien financier pour le climat jusqu’à 425 millions de francs de fonds publics d’ici 2024 selon l’ambassadeur de la Suisse pour l’environnement, Franz Perrez. «Une somme prise en partie sur le budget de la coopération au développement», tempère la conseillère aux Etats écologiste genevoise, Lisa Mazzone, qui participait aux débats genevois.
Ce système de compensation est aussi problématique. «L’efficacité de ces projets reste à démontrer; parce que la promotion de ces mécanismes, dont se sont entichées notamment la finance et l’agro-industrie, détourne les décideurs politiques de la nécessité de réduire nos émissions. Et par ce que ces mécanismes font peser de nouveaux risques sur les droits humains (accaparement des terres, expropriation des populations locales, souveraineté alimentaire mise à mal, accentuation des dérèglements climatiques)», relève le CCFD-Terre solidaire, qui est franchement contre cette méthode. «On devrait surtout investir contre les émissions en Suisse. Cela permettrait de développer une économie durable et les emplois de demain», regrette l’élue nationale genevoise.
Mouvement climat en marge
Rappelons qu’outre les chefs d’Etats, les COP accueillent aussi des acteurs non-étatiques. Ils vont des représentants de la finance, des entreprises, et des investisseurs à des membres de la société civile et des ONG. Tous ont un statut d’observateurs. On est loin du compte selon le mouvement climat, qui se méfie de ces grands raouts, et s’en distancie. «Nous n’y participerons pas. Nous ne devons pas légitimer un processus qui a échoué pour nous tous au cours des 25 dernières années. Pour ceux qui choisissent d’y aller, nous le ferons pour accuser les dirigeants de crimes contre l’humanité, en apportant une déclaration basée sur la vérité sur la corruption légalisée et l’échec systémique», annonce ainsi le mouvement Extinction Rebellion UK. Il entend «soutenir l’action perturbatrice à Glasgow dans la mesure du possible, sans engager trop de ressources».
On est sur la même longueur chez certaines personnes intervenantes du panel genevois. «Le système économique nous mène dans le mur. Le greenwashing, les solutions de rénovation du bâti ou la promotion des voitures électriques ne seront pas suffisants. Nous devons transformer la société dans un effort collectif avec le mouvement antiraciste ou féministe pour aller vers un monde meilleur et plus équitable. Partons du constat que ce monde ne va pas et construisons autre chose», assure Marion Lanci, jeune activiste pour le climat.
Levain de demain
«La COP de Glasgow ne va rien résoudre. Elle va peut-être donner quelque espoir pour aller dans la bonne direction, mais ne va pas opérer des changements nécessaires. La société civile doit maintenant être autre chose qu’un simple aiguillon et être partie prenante de la politique que nous allons développer, ainsi qu’impliquée dans la prise de décision. La jeunesse, notamment dans les pays industrialisés, est bien informée et doit maintenant imposer ces changements. Ce qui signifie que des sommets comme Glagow devront être repensés s’ils veulent aboutir à quelque chose. Le processus actuel n’est pas compatible avec les enjeux. Il faut donc changer les méthodes et obtenir des gouvernements une participation pleine et entière de la population, aussi bien au niveau international, que national et local», assure Alain Clerc, ancien responsable de la Confédération de la politique internationale pour l’environnement.
Plus lyrique, Philippe Roch, ex-directeur de l’Office fédéral de l’environnement et du WWF suisse nous interpelle: «Soyons le levain de monde nouveau, soit ce qui transforme le pain de l’intérieur, en donnant un produit nourrissant et délicieux», tout en plaidant pour un Tribunal de l’environnement chargé de juger les crimes contre la nature.