Mini-taxe sur les grandes fortunes

Genève • L’échec de l’initiative fédérale 99% ce week-end ne les a pas refroidis. L’Alternative et les syndicats lancent une initiative cantonale pour une imposition temporaire des grandes fortunes nettes de plus de 3 millions.

L’initiative, qui prévoit aussi des déductions fiscales pour certaines catégories, rapporterait 350 millions à l’Etat. (Timothy Krause)

«L’initiative fiscale de la jeunesse socialiste pour les 99% a reçu un meilleur accueil à Genève que dans le reste de la Suisse. Il y a un an, les Genevois approuvaient le salaire minimum et l’initiative zéro pertes. Nous pensons qu’il y a un espace pour lancer une initiative cantonale pour taxer temporairement les plus grosses fortunes», lance Davide De Filippo, président la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS).

Le principe de ce nouveau texte, qui doit réunir 5300 signatures d’ici 4 mois? «Notre initiative propose d’instaurer un impôt de solidarité limité dans le temps (10 ans) sur les très grandes fortunes. Il s’agit d’un impôt de 5 pour mille (0.5%) sur la part de la fortune imposable supérieure à 3 millions de francs. En outre, elle réduit les manques à gagner dus au «bouclier fiscal» (instauré en 2001, ndlr), qui permet aux très grosses fortunes d’échapper à une partie de l’impôt et qui fait actuellement perdre 173 millions de francs à l’Etat et 40 millions aux communes (chiffres de 2018).

Pour ce faire, le calcul du rendement net de la fortune dans ce bouclier sera fixé au moins à 2% au lieu de 1%. Afin de ne pas pénaliser les petit.es propriétaires et les artisan.es, nous avons prévu de tripler le montant des déductions sociales», précise Pierre Eckert, député des Verte.s, qui a sorti force chiffres à l’occasion de la conférence de presse de lancement de l’initiative. Au passage, il rappelle que l’imposition maximale sur la fortune est actuellement de 1%.

Faire face à la crise

«A terme, les recettes de cet impôt pourraient rapporter 350 millions à l’Etat, 85 millions aux communes, dont 35 pour la Ville de Genève. Ce qui permettrait de faire face à la crise liée au Covid ou au déficit budgétaire. Avec notre initiative, qui n‘est pas aussi ouverte que celle de la JSS, nous pourrons éviter une campagne de fake news de la droite et du patronat», estime Alexander Eniline, président du Parti du Travail. Pour Quentin Stauffer, représentant du SSP et selon Françoise Weber du Cartel intersyndical du personnel de l’Etat, les ressources fiscales permettront de renforcer les services publics pour répondre aux besoins de la population.

«Il est urgent d’investir dans l’école, les hôpitaux ou le social. Les fonctionnaires ne peuvent servir systématiquement de valeurs d’ajustement budgétaire», signale le premier, faisant allusion aux projets de blocage des annuités pour 2022 dans les budgets de la Ville ou du Canton. «Les services publics sont toujours en première ligne. Renforcer les prestations, cela signifie aussi renforcer la protection des salarié.es du secteur privé. Un service public fort profite à toutes et tous les salarié.es et pas uniquement aux employé.es de la fonction publique. Il est donc essentiel de trouver de nouvelles sources de revenus plutôt que de chercher à raboter des services déjà sous tension et surexploités», estime la seconde.

Réchauffement climatique  et pauvreté

Pour Thomas Vachetta, de solidaritéS – Ensemble à gauche, ces rentrées fiscales additionnelles pourraient aussi servir à financer la lutte contre le réchauffement climatique. «Des moyens supplémentaires sont nécessaires pour rénover l’habitat, réduire le trafic, en renforçant une offre de transports publics gratuits, pour développer une énergie propre et locale ou réduire les émissions de l’aéroport», préconise-t-il.

Plus globalement, il importe de renforcer la paix sociale, la sécurité, le bien-être de la population ou la solidarité, souligne Sylvain Thévoz du Parti socialiste. «L’Etat ne doit pas être affaibli, comme cela est le cas suite aux différentes réformes fiscales comme la réforme fiscale cantonale RIE 2 ou la Réforme fiscale et financement de l’AVS (RFFA) et alors que la droite prévoit de supprimer la taxe professionnelle, ce qui ferait perdre 100 millions à l’Etat et 100 millions aux communes. D’autant plus que la pauvreté n’a quant à elle jamais été aussi présente dans notre canton. Le nombre de bénéficiaires de l’aide sociale a fortement augmenté et la durée de prise en charge de ceux et celles-ci s’est allongée. De plus en plus de personnes doivent faire appel aux subsides pour payer leurs primes d’assurance maladie. Les ménages s’endettent pour continuer à payer leurs factures alors que leurs revenus ont fondu. Le chômage a augmenté, en particulier chez les jeunes. Rappelons encore que les élèves en difficultés ont très fortement souffert de la fermeture des écoles et que des milliers de personnes ont dû faire appel à l’aide alimentaire offerte par le tissu associatif pour nourrir leur famille. Selon l’OCSTAT, le risque de pauvreté touche 18.5% de la population à Genève, alors qu’il est de 15.7% en moyenne en Suisse», relève-t-il.

Répartition inégalitaire

Sur la base d’une étude de l’Administration fédérale des contributions sur l’évolution de la richesse en Suisse entre 2003 et 2015 et de ses propres calculs, Jean Batou, membre de Résistons! – Ensemble à gauche rappelle quelques faits têtus. «Les cantons de Schwytz, d’Obwald et Genève sont ceux où la fortune a crû le plus durant ces années, mais dans notre canton, elle est la plus inégalement répartie» précise-t-il en préambule.

«Entre 2011 et 2018, les recettes d’impôt sur la fortune sont passées de 254 millions à 517, soit une augmentation de 102%, le double. Les fortunes imposables de plus de 3 millions ont passé de 21 milliards à 60, soit une augmentation de 177% ou de 16,5% par an. On nous raconte des histoires quand on prétend que les super-riches vont s’en aller», a-t-il analysé. «En 2011, 2000 contribuables bénéficiaient du bouclier fiscal. Ils sont aujourd’hui près de 7000. Il s’agit d’un véritable outil d’optimisation fiscale cantonal», ajoute Pierre Eckert. En août dernier, une taxe temporaire de solidarité Covid était refusée dans le canton de Neuchâtel par le Grand Conseil, mais pas de quoi faire vaciller les initiants. «A Genève aussi la majorité du parlement est de droite. C’est pourquoi nous voulons en passer par le peuple pour ouvrir une discussion sur le thème de ces inégalités», estiment-ils en cœur.