Variant Delta, la menace fantôme?

Cpvid-19 • Si les voyants de la pandémie sont au vert en Suisse, dont les autorités viennent de lancer un cinquième assouplissement des règles sanitaires, la menace reste bien présente dans le monde. Directeur de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève, Antoine Flahault répond à nos questions.

Le variant Delta est particulièrement contagieux et menace la décrue épidémiologique. (dawolf)

Le variant Delta du coronavirus particulièrement contagieux devrait représenter 90% des nouveaux cas de Covid-19 dans l’Union européenne d’ici fin août, a estimé mercredi le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), qui appelle à la vigilance. Faut-il s’attendre à une quatrième vague après l’été? Quelle pourraient en être les conséquences sur le système de santé en Europe?

Antoine Flahault A l’Université de Genève, en collaboration avec les deux écoles polytechniques fédérales de Lausanne et de Zürich, nous produisons chaque jour des prévisions pour 209 pays et territoires dans le monde (https://renkulab.shinyapps.io/COVID-19-Epidemic-Forecasting/). Nous nous refreinons cependant à prédire au-delà de sept jours, donc la quatrième vague après l’été, vous comprendrez que c’est hors de notre champ de prévisions. Nous ne voulons pas prédire au-delà d’une semaine parce que nous ne pensons pas que les modèles mathématiques permettent de le faire aujourd’hui pour la Covid-19.

En revanche, vous avez raison de mentionner que le variant Delta est particulièrement contagieux et qu’il menace la décrue épidémiologique actuellement observée dans toute l’Europe. Plusieurs pays sont déjà sous le coup d’un rebond préoccupant, comme le Royaume-Uni, le Portugal et la Russie. Parviendrons-nous à contrecarrer l’évolution de ce variant Delta au cours de l’été et éviter une telle vague? C’est un scénario optimisme. Un autre scénario, plus pessimiste, laisse envisager une nouvelle vague à la rentrée à l’instar de ce qui s’était produit l’an dernier. La vaccination pourrait venir aider les autorités à prévenir cette vague. Mais on observe des rebonds tant en Israël (65% de primo-vaccinés) qu’au Royaume-Uni (66%), sans savoir encore quelles en seront l’ampleur et la sévérité. Suivre de très près leur expérience sera utile à tous les Européens.

Les vaccins ARNm, de type Pfizer/Biontech ou Moderna, protégeraient les adultes contre une forme grave du Covid-19 «pendant trois ans», et contre une forme modérée de la maladie «pendant 16 mois», selon la Task Force suisse. Partagez-vous cet optimisme? Faut-il accroître la campagne de vaccination pour essayer de vacciner 80% de la population?

On n’a pas encore un recul de trois ans sur cette pandémie et encore moins sur le vaccin. Donc ces chiffres sont le fruit de projections et non pas d’observations épidémiologiques, il faut les voir ainsi. On sait que ces vaccins à ARNm sont d’une très grande efficacité, y compris sur les nouveaux variants, y compris le variant Delta, et particulièrement sur les formes graves de Covid-19. On peut espérer que l’immunité conférée par ces vaccins sera de longue durée, mais on ne le saura qu’avec un recul qui nous manque encore.

Ce n’est qu’il y a quelques années seulement que l’on a décidé d’arrêter de faire des rappels tous les dix ans du vaccin contre la fièvre jaune. On s’est en effet rendu compte avec le recul, que personne ne développait de formes graves de fièvre jaune après avoir été vacciné, même une seule fois dans sa vie. Cela prendra donc aussi du temps avec les vaccins contre la Covid-19.

Quant à la proportion de la population à vacciner, le plus est le mieux. 80% de la population semble aujourd’hui un objectif minimum. Les souches variantes sont de plus en plus transmissibles et exigent donc une plus grande proportion d’immunité colleotive pour parer tout risque de résurgence de vague épidémique.

Mais avec le temps, on devrait pouvoir y arriver avec les vaccins Covid-19, lorsque l’on sait que l’on obtient des couvertures vaccinales de plus de 95% avec des vaccins comme ceux de la rougeole ou de la poliomyélite. On devrait aussi disposer à l’automne de vaccins pédiatriques et plus l’expérience sera vaste et partagée dans le monde plus volontiers les personnes devraient accepter de se faire vacciner et de laisser vacciner leurs enfants.

Vaccination, certificat sanitaire, tests PCR sont mis en avant dans la lutte contre le Covid. Quid des mesures de distanciation physique, désinfection des mains ou port du masque? Ne faudrait-il pas maintenir ces mesures à l’avenir?

La vaccination doit apporter des bénéfices individuels incluant un meilleur confort de vie. On sait que la vaccination, sans être stérilisante sur le virus (c’est-à-dire qu’elle ne bloque pas totalement la possibilité de transmission du virus) en limite grandement sa transmission. Cette réduction de transmission du coronavirus est de l’ordre de 80% vis-à-vis du variant Delta et 90% contre les souches originelles du SARS-CoV-2. C’est considérable et cela autorise, en particulier lorsque la circulation du virus est très faible dans la population, à relâcher certains gestes barrières.
Cela dit, en raison des rebonds observés en Europe et de la très forte transmissibilité du variant Delta, on a raison d’inciter à la prudence et continuer à recommander le port du masque en milieu intérieur, dans les transports publics durant tout l’été. Ces gestes barrières, s’ils sont bien suivis, peuvent faire toute la différence, car ce n’est quasiment qu’en milieu intérieur que l’on se contamine par ce coronavirus.

Le Covid va-t-il devenir une maladie saisonnière comme la grippe? Cette comparaison a -t-elle un sens?

Le coronavirus partage quelques points communs avec les virus de grippe, mais a aussi de profondes différences. C’est un virus à ARN et à transmission respiratoire, donc principalement par gouttelettes aérosolisées, comme le virus de la grippe, mais leurs similarités s’arrêtent quasiment là. La surdispersion du taux de reproduction est une propriété des coronavirus qui fait que seuls 10% des personnes contaminées transmettent le virus à plus d’une personne et contribuent au processus épidémique, avec parfois des supercontaminateurs qui peuvent transmettre le virus à plusieurs dizaines de personnes.

Le taux de reproduction de la grippe suit une distribution statistique en forme de cloche autour de sa valeur moyenne (par ailleurs inférieure à 2). La durée d’incubation de la Covid-19 est beaucoup plus longue que la grippe, de cinq jours en moyenne, allant jusqu’à douze jours, contre un ou deux jours pour la grippe. Cela change beaucoup les modalités de riposte contre la pandémie. On peut ainsi déployer une stratégie de testing-tracing et d’isolement pour contrer la propagation du coronavirus alors que cela n’a pas de sens dans le cas de la grippe, pour laquelle on ne dispose pas de suffisamment de temps pour de telles stratégies.

Existe-t-il d’autres différences?

Oui. La Covid-19 est beaucoup plus grave et mortifère que la grippe, saturant le système de santé plus précocement et plus intensément. Elle limite l’intérêt des politiques dites de «mitigation» (ou «vivre avec») choisies pour lutter contre les pandémies de grippe.
Enfin, les mutations du coronavirus semblent conférer à chaque fois au virus un caractère plus transmissible, peut-être plus virulent, ainsi qu’un certain niveau d’échappement immunitaire, par rapport aux précédentes souches circulantes. On ne voit pas cette progression des caractéristiques des nouveaux variants avec la grippe. Au contraire, les variants qui suivent les pandémies grippales et causent les épidémies de grippe saisonnière ne sont généralement pas davantage transmissibles, ni plus virulentes.

En revanche, leur échappement vaccinal est quasi-systématique et conduit à fabriquer des nouveaux vaccins à chaque saison, ce qui ne semble pas encore le cas avec les variants de la Covid-19.

Au Sud, en Colombie ou Afrique du Sud notamment, le nombre de nouveaux cas explose. Peut-on laisser des régions entières se contaminer gravement alors que la solution est globale? Ne faudrait-il pas lever les brevets intellectuels sur les vaccins et favoriser le transfert de technologie?

A chaque fois que l’on a observé une vague pandémique importante, que ce soit au Royaume-Uni, au Brésil, en Afrique du Sud, en Inde, des variants ont émergé, toujours plus transmissibles, parfois plus virulents. On peut donc redouter l’émergence de nouveaux variants qui accompagnent tout foyer se développant avec rage dans le monde, comme à nouveau en Afrique sub-saharienne, mais aussi en Amérique latine, et pourquoi pas en Russie ou à nouveau au Royaume-Uni. Il faut réfléchir à de nouveaux mécanismes garantissant l’accès à ce que l’on voudrait que deviennent les produits essentiels de santé: des biens publics mondiaux, partagés et accessibles par tous sur la planète. L’important investissement financier d’origine publique qui a servi au développement des vaccins actuellement disponibles permet de réfléchir à ces questions sans les laisser entièrement entre les mains des fabricants.

Faut-il lever les brevets? Mais alors comment pourra-t-on exiger des fabricants à qui on aura retiré la garantie de profits industriels leur bonne volonté pour transférer leur technologie et leur savoir-faire? Il faut peut-être plutôt des mécanismes incitatifs forts tels ceux proposés par le rapport du Panel Indépendant chargé de l’évaluation de la réponse à la pandémie par l’OMS. Ils ont proposé que l’on exige des laboratoires pharmaceutiques qu’ils partagent leurs brevets et transfèrent leurs technologies et compétences aux industriels de leur choix. Mais de façon à ce que tous les continents disposent de capacité de production propre et accessible, les mettant à l’abri des pénuries pour raisons diverses. Cela prendra du temps.

Les experts du Panel ont proposé sans naïveté de prévoir, en cas de non-réponse ou d’immobilisme du côté industriel, que leurs brevets soient levés de façon autoritaire après un certain délai. Le seul point important est d’aller rapidement. On est face à une urgence, et tout délai coûtera des vies et aura autant de conséquences sociales, économiques et politiques qui impacteront la sécurité globale.

Certains prétendent que la Covid est née dans un laboratoire. Pourra-t-on connaître son origine?

Il y a plusieurs hypothèses sur la table quant à l’origine de ce coronavirus. Tant que les Chinois ne donneront pas un accès plein et entier à leurs laboratoires de Wuhan qui ont travaillé sur les coronavirus, et aux fermes alentours de Wuhan qui ont pu héberger des animaux portant le virus, on ne saura pas trancher entre les hypothèses. Plus le temps passe et plus la probabilité de savoir un jour ce qui s’est réellement passé diminue.

C’est une responsabilité lourde qui pèsera sur les responsables politiques qui n’auront pas tout mis en œuvre pour faciliter l’investigation de ces questions. Ainsi, savoir la cause de l’émergence de cette pandémie pourrait permettre de mieux encadrer les activités potentiellement dangereuses s’il s’avérait qu’une activité humaine avait été à l’origine de tout cela.

Comment voyez-vous l’après-Covid-19? Certains ont proposé des programmes de changement radicaux sur les questions environnementales, de biodiversité et climatiques pour désamorcer les risques d’apparition de nouvelles pandémies. Votre avis?

Il est certain que les changements globaux, survenus depuis près d’un siècle, ont conduit à un accroissement démographique inédit. Il nous faut donc gérer la nécessité pour les huit milliards d’êtres humains que nous sommes de trouver à nous nourrir, à nous loger, à nourrir notre bétail, à cultiver les surfaces appropriées, et donc à tailler dans les forêts, ce qui nous rapproche de faunes sauvages que nous n’avions pas l’habitude de côtoyer, et nous met au contact d’agents pathogènes dont ils sont les réservoirs et contre lesquels nous n’avons développé aucune immunité.

Nos modes de vie, nos activités industrielles et commerciales, notre empreinte carbone, notre utilisation de ressources toujours moins soutenables, nous imposent de trouver des solutions durables et équitables, qui respectent la santé de notre planète et celles de nos concitoyens. Ce sont les grands enjeux qui nous attendent et pour lesquels nous devons trouver ensemble les réponses à leur hauteur, dans un dialogue multilatéral respectueux des autres cultures, nations et peuples. Il y va de notre paix et notre sécurité futures.