La question agro-alimentaire est devenue essentielle dans le contexte de crise globale que nous traversons: pandémie, climat, migration, environnement, biodiversité. Dans le productivisme et consumérisme à tout-va, la nourriture reprend toute sa place car notre approvisionnement et la santé publique ne semblent plus assurés ici et ailleurs. Comme on l’a vu dans la campagne en vue des votations du 13 juin, des questions sous-jacentes aux initiatives n’ont pas été abordées, en particulier celle des marchés libéralisés, qui étranglent quotidiennement les paysannes et paysans et qui, in fine fait disparaître mille exploitations chaque année. Ainsi que différentes formes de dépossessions en termes de valeur, de dépendance technologique et financière.
Initiatives phyto ou pas, la branche agricole est toujours en voie d’être sciée par le processus sans fin de la concurrence. Ces questions ont été quelque peu biaisées par les initiateurs, les Verts, le PS et les ONG environnementales alors qu’ils chargent l’agriculture de normes environnementales sans dénoncer ce dispositif économique prédateur. Elles l’ont tout autant été par les organisations paysannes partisanes du 2x NON. Aucune mobilisation n’est venue pour défendre la cause des familles paysannes face à l’emprise des filières de production. La campagne de votation a moralisé, individualisé la question agro-alimentaire: le paysan n’a qu’à, le consommateur n’a qu’à, en faisant fi que l’agriculture est indissociable de la société avec qui elle fait le territoire commun. D’autre part, on déclamait à coups d’affichage les menaces sur l’approvisionnement, la montée des prix, le gaspillage, plus d’importation, des pertes d’emploi, etc. alors que les normes et la lutte concurrentielle industrielle et commerciale génèrent un gaspillage alimentaire en milliards de francs, de tonnes de CO2, de durs labeurs, détruisent des emplois, font baisser les prix agricoles, en oubliant que la Suisse exporte une bonne part de son territoire en fromage, lait en poudre et autres.
Les défis sociaux, environnementaux, climatiques, d’exode, d’insécurité traversent inexorablement l’agriculture pour le meilleur et pour le pire. Par conséquent, il est impératif que les paysannes et paysans se réorganisent pour assurer leur autonomie en s’émancipant de la subordination à l’agro-industrie, qui chapeaute l’agriculture et la politique agricole. Une alliance avec les mouvements sociétal, environnemental, climatique va de soi et peut s’articuler sur la Souveraineté alimentaire. Parce que cette dernière s’inscrit dans un mouvement de lutte pour l’extension de la démocratie, s’adresse aux institutions, vient donner à la société les moyens de faire des choix en termes de politique agricole, de santé publique et d’environnement sur le territoire qu’elle habite et habitera dans le futur.
Un de ces moyens est la régulation des marchés nationaux afin de s’affranchir de la concurrence mondiale. Comme on le voit avec la pandémie, les Etats se voient obligés d’intervenir. Il en va de même pour la santé publique, l’alimentation, le climat. Les sociétés ne peuvent pas faire dépendre leur avenir des lois du marché. Une chose est sûre, c’est autour d’une vision ouverte vers et par la démocratie qu’une convergence d’intérêts et de luttes, notamment sociales, environnementales, féministes et migratoires, climatique, est possible.
Paul Sautebin,
ancien président d’Uniterre JU-JB