La période actuelle en Suisse est placée sous le signe de l’écologie. Trois objets de la votation du 13 juin s’y rapportent. La Grève pour l’avenir du 21 mai a d’autre part marqué la reprise des activités des défenseurs du climat. Les trois objets de votation indiquent, chacun à leur façon, une vive préoccupation pour l’environnement. L’initiative «eau propre» et la loi CO2 se caractérisent en outre par une indifférence au sort des petits paysans et des citoyens à bas revenu contraints d’utiliser de l’essence pour leurs déplacements. Quant à ceux qui militent pour le climat, ils témoignent d’un engagement sans failles, digne d’estime voire d’admiration. Le Matin Dimanche du 23 mai en interviewait d’ailleurs quatre. A propos d’Extinction Rébellion (XR), l’un d’eux déclare: «C’est la beauté d’XR. On ne donne pas de recette. Mais on aimerait des assemblées citoyennes représentatives du peuple pour prendre des décisions, loin de la politique partisane». Une autre personne suggère: «Il faudrait un lien plus fort entre citoyens et élus, que ces derniers soient de vrais représentants du peuple». Un troisième militant ajoute, parlant de la désobéissance civile: «… c’est une autre façon de faire de la politique et du droit, par le bas, en dehors des institutions ». On conclura par ce propos du premier cité: «Notre public, c’est tout le monde. Ici… on a des personnes en rébellion de droite qui viennent du PLR ou des Vert’libéraux et qui nous soutiennent». On constate chez ces personnes une conviction irréprochable, mais aussi des attentes imprécises que des choses arrivent on ne sait par qui ni comment.
L’examen des objets de votation et des jugements des militants suggère qu’il existe quatre sortes d’écologie, plus ou moins clairement définies: une écologie non décroissante sans transition, une écologie non décroissante avec transition, une écologie décroissante sans transition et une écologie décroissante avec transition.
L’écologie non décroissante sans transition, dominante dans les milieux dirigeants, est présente dans tous les partis modérés, de la droite à la gauche en passant par certains écologistes. Elle compte seulement remplacer une économie polluante (fondée sur les énergies fossiles) par une économie propre (fondée sur les énergies renouvelables), sans changer de système, ni du point de vue de la forme de production ni du point de vue de la forme de propriété. Cette écologie peut être minimaliste, dans les partis de droite qui saupoudrent leurs programmes de vert, et pour eux une transition est inutile car ils pensent que peu de choses changeront. Elle peut être aussi plus ambitieuse chez certains écologistes qui pensent qu’il y aura de vrais changements, mais qu’une transition n’est pas nécessaire si l’on veut avancer: on le voit dans l’initiative «eau propre» et dans la loi CO2 qui négligent ceux qui feront les frais du processus.
L’écologie non décroissante mais avec transition apparaît aussi chez les écologistes, lorsque sans envisager un changement de système, ils défendent des changements d’une certaine importance en évitant des virages trop brusques, comme on le voit dans l’initiative anti-pesticides et son délai de dix ans. L’écologie décroissante sans transition est celle d’un certain nombre de militants radicaux, qui affirment la rupture avec le système capitaliste productiviste et consumériste, mais restent vagues sur la voie à suivre. Il est en effet difficile de la concevoir à court ou moyen terme sans courir de graves risques de chômage de masse, de pénuries, voire de guerres civiles. Quand on agit dans ce sens, on se limite d’ordinaire à des entreprises individuelles ou à des démarches collectives localisées.
Reste l’écologie décroissante avec transition qui est réclamée par un certain nombre de théoriciens qui voient à la fois la nécessité de tourner la page du système actuel, mais qui constatent aussi que les problèmes économiques et sociaux posés par ce virage exigent des études approfondies et l’établissement de stratégies progressives à grande échelle, notamment concernant les emplois (on peut citer Serge Latouche 1).
Qu’une écologie sans décroissance débouchant sur un capitalisme vert ou même sur la collectivisation du système actuel devenu plus vert soit insuffisante semble aujourd’hui évident. Le simple passage des énergies fossiles aux énergies renouvelables et des secteurs industriels polluants (métallurgie, chimie) à des secteurs industriels jugés moins polluants (numérique) est illusoire si l’on envisage le long terme, du fait de l’énorme quantité de ressources impliquée par n’importe quelle technologie, même la plus avancée et la plus propre. Guillaume Pitron rapporte: «A capacité (de production électrique) équivalente, les infrastructures… éoliennes nécessitent jusqu’à quinze fois davantage de béton, quatre-vingt-dix fois plus d’aluminium et cinquante fois plus de fer, de cuivre et de verre que les installations utilisant des combustibles traditionnels…» (2). Et d’autant plus que l’accroissement de la population condamnerait une bonne part de l’humanité à rester à l’écart pour permettre à une minorité de profiter encore de ressources de plus en plus rares. Si l’on n’appartient pas à ceux qui pensent qu’une catastrophe va de toute façon mettre brutalement fin à notre mode de production et que la seule préparation à cette échéance est morale, l’issue qui s’impose est donc de travailler à une écologie décroissante ménageant une transition afin d’éviter un désastre social.
Ce type d’écologie, comme tout mouvement politique visant le succès, doit être organisé. En dehors de la politique, permettant de conquérir le pouvoir pour faire voter des lois et contrôler des gouvernements, les résultats sont malaisés à atteindre. La politique permet aussi de se regrouper d’une manière ample autour d’objectifs clairement définis en recourant à des stratégies efficaces parce que largement suivies. Etant donné l’esprit qui règne aujourd’hui dans les partis de la gauche modérée, la gauche radicale reste la meilleure candidate pour un vrai programme d’écologie décroissante: elle seule affirme sans concession le lien entre l’écologie et l’anticapitalisme, elle seule est capable, en rompant avec la logique du profit, de proposer un autre mode de production et de consommation. Et en plus, elle apporte l’expérience de 150 ans de luttes sociales et de méthodes d’organisation qui ont notamment permis d’obtenir la journée de 8 heures! Le point faible de tout cela est certes l’actuelle faiblesse, claire ou relative selon les pays, de ce courant politique et la crainte que semble encore éveiller chez un grand nombre un retour au Komintern!
En tout cas, à mes yeux, le programme environnemental du PST-POP est très bon. Sa première partie, anticapitaliste, me semble irréprochable. Pour les propositions concrètes, j’avoue que je les trouve en général bonnes, mais un peu trop prises à égalité dans tous les types d’écologie, et je serais heureux d’y voir une référence mieux marquée au seul point de vue d’une écologie décroissante avec transition.
1 Notamment Petit traité de la décroissance sereine, Mille et une nuits, 2007.
2 La Guerre des métaux rares, La face cachée de la transition énergétique et numérique, Les Liens qui Libèrent, 2019, p. 232