On sait la place éminente qu’occupe Michel Moret dans la diffusion du livre et de la culture en Suisse romande et au-delà, depuis qu’il a pris les rênes des Éditions de L’Aire en 1978. C’est donc avec plaisir qu’on lit son petit opus de mémoires, dont le titre, Le vieil homme et le livre, fait référence au fameux récit d’Ernest Hemingway. En réalité, l’homme fait preuve d’une éternelle jeunesse dans sa défense de la culture.
Son ouvrage commence par une apologie du livre, qui «guide son lecteur sur le chemin de la conscience et l’initie à la beauté». Puis toute la première partie est consacrée au rôle, aux joies et aux vicissitudes du métier d’éditeur. À certains égards, son livre va dans le même sens que celui de Pascal Vandenberghe, directeur de Payot, récemment paru. Pour Michel Moret, l’éditeur est «un intermédiaire indispensable, un porte-parole inconscient de celui qui a passé des nuits blanches à décrire ses émotions». Il montre aussi la pérennité de certains auteurs et livres un peu oubliés, puis redécouverts, comme Alice Rivaz. Sur Paris et le parisianisme dans l’édition, il lance quelques propos au vitriol.
Mais c’est la suite du livre qui est la plus personnelle et la plus attachante. En commençant le récit de chacun de ses souvenirs par la formule «Je me souviens de», Moret évoque ses rapports personnels avec Jacques Chessex, Gustave Roud ou encore Yvette Z’Graggen. L’humour, parfois aussi la gravité, ne sont pas absents de ses propos. Puis l’auteur consacre des pages chaleureuses à «des hommes de qualité», qui ont été des amis très proches. Parmi eux, la belle figure de Raymond Durous, qui n’a cessé dans ses livres de mettre en valeur ses origines italiennes. On le sent, l’amitié, souvent accompagnée de chants (de préférence révolutionnaires!), de bonne chère et de bons vins, compte beaucoup pour cet éditeur qui peut paraître un peu bourru au premier abord. Et c’est encore mieux, pour lui, quand on déguste un raki au coucher du soleil à Gümsüslük, «en compagnie d’une belle Ottomane». Car Michel Moret effleure en passant, bien qu’avec beaucoup de pudeur, l’histoire de ses amours successives.
Une Turquie de coeur
On trouvera aussi dans ce livre des évocations vivantes de voyages, notamment dans des villes liées à des réminiscences littéraires. Les plus belles pages sont sans doute celles consacrées à la Turquie, visitée plus de trente fois, qui a conduit l’auteur à des formulations particulièrement heureuses. Ainsi Istanbul est présentée comme «une cité éternelle qui a changé trois fois de nom comme une femme qui aurait multiplié les mariages». En bref, voilà un petit livre attachant, à la fois profond et léger qui, tel l’un de ces poèmes d’Aragon qu’affectionne Michel Moret, se déguste comme un bon cru.
Michel Moret, Le vieil homme et le livre, Vevey, Éditions de L’Aire, 2021, 123 p.