D’abord un long travelling sur les visages fermés d’ouvrières affichant houes, pioches et pelles. Travailleuses en rangs serrés comme un choeur antique, ultime ligne verte de défense. Si déterminées à replanter les végétaux et dresser les digues luttant contre l’érosion, protégeant du vent et nourrissant le sol. Puis un noir écran sous-tendu de ce que l’on croit être un cliquetis pluvieux. Il se révèle in fine feuilles pétrifiées de sécheresse voletant sur la terre aride, craquelée. En trois plans fixes didactiques quasi mutiques, le cinéaste documentaire genevois Olivier Zuchuat déploie le teaser de la tragédie archaïque qui se joue au Burkina Faso dans Le Périmètre de Kamsé tourné de 2017 à 2019, au nord-est du pays.
Pour le réalisateur, il s’agissait ici «de rendre hommage à ces femmes qui creusent, plantent, cultivent, irriguent et s’affrontent à la désertification grandissante.» Elles en sont à la fois victimes et actrices par nécessité vitale absolue d’une situation de crises. «C’est une spirale infernale qui appauvrit la terre. Combiné avec la sécheresse et les pluies torrentielles, c’est le cycle délétère comprenant la coupe de bois pour les repas, le replantage aux mêmes endroits, les troupeaux qui paissent et se désaltèrent. Plus la terre devient sèche, plus l’eau ne peut l’irriguer.» Ces femmes avec enfants sont quasiment seules en ces zones, prenant à peu près tout en charge. Les hommes âgés prennent les décisions concernant ce périmètre pour résister à l’avancée du désert. «L’immense majorité masculine, elle, s’est exilée sous contraintes économiques. Le salut de l’Afrique viendra des femmes dans un rapport plus pacifié au monde», avance Olivier Zuchuat.
Damnées de la Terre
De manière moins radicale et longue que chez le Philippin Lav Diaz (Norte, la fin de l’histoire), Le Périmètre de Kamsé se révèle tout aussi passionnant. Par ce qu’il raconte bien sûr, mais surtout par la façon dont il le raconte, par ses plans séquences saisissants de maîtrise. Engageant le spectateur dans une expérience physique de cinéma et de la perception. On retrouve cette impression de vide, cet état de renfermement absolu dans des conditions de vie en sursis des précédentes réalisations du cinéaste. Ainsi Au Loin des villages (2008), où des personnes de l’ethnie Dajo et survivantes de la guerre du Darfour se réfugient à l’Est du Tchad, pour s’y enfermer et se bricoler une survie. Et Comme des lions de pierre à l’entrée de la nuit (2013) parti sur les ruines et traces des camps de rééducation grecs, destinés au sortir de la guerre civile de 1947 à 50, à lutter «contre l’expansion du communisme». Plus de 80’000 personnes (hommes, femmes, vieillards, enfants) ont été internées sous tentes sur l’îlot de Makronissos, dont nombre d’écrivains et poètes. Avec l’usage de la torture pour obtenir une «renonciation au communisme» signée et massacres de prisonniers.
A Kamsé, le vent est peut-être l’un des principaux bourreaux du lieu, comme il le fut sur Makronissos. Littéralement au corps à corps, la lutte acharnée et stoïque contre le désert qui avance et pour la survie tant de leurs enfants que de la communauté cloue ces femmes sur place, tels des Sisyphe. Et fait des lieux dans lesquels elles travaillent des refuges pour ermite incitant à la pensée sur soi et sur la place centrale que les femmes devraient occuper dans tout projet de développement et de société. Ce qui n’est d’ailleurs guère le cas du programme de coopération suisse au Burkina Faso 2021-2025, dans le cadre de «la promotion de la paix au Sahel».
Combat inégal
A l’image, entre sueur, chaleur écrasante et poussière, des femmes sont à la peine harassante, piochant en tongs et sans protection un sol à la dureté minérale. Elles ne sont pas sans évoquer, de loin en loin, les chantiers pharaoniques menés au Cambodge sous les Khmers rouges creusant canaux et érigeant digues. Pas de régime de terreur toutefois dans cette région du nord-est du pays, où la désertification colonise tout, à raison de 360’000 hectares de terres dégradés par la sécheresse annuellement à l’échelle du pays. Mais un conseiller agricole rappelant les consignes faites aux femmes de ne pas travailler avec les enfants. Ce projet s’inscrit dans l’action d’une ferme expérimentale située à une dizaine de kilomètres de Kamsé. «Elle essaie de promouvoir des techniques de revitalisation de zones autrefois arables. C’est aujourd’hui une aire sur laquelle rien ne pousse.»
Si la périphérie de Kamsé s’est muée en un semi-désert, c’est dans le sillage de l’activité humaine locale et du changement climatique au plan mondial. Parmi les facteurs majeurs de cette désertification, le cinéaste pointe notamment les coupes sauvages de bois, la surexploitation des terres ainsi que la hausse des troupeaux d’ovins dévorant les végétaux. On peut y ajouter au plan national, l’action délétère de multinationales minières fortes consommatrices de réserves en eau, forant sans respect des droits humains.
Après le départ des jeunes pour la Côte d’Ivoire en quête d’une vie meilleure et de ressources, les rares hommes encore présents, hors les vieux, travaillent surtout de nuit. Aux yeux du cinéaste «sous l’assaut conjoint des djihadistes issus du Mali et du Niger, on assiste au Nord à une autre triple désertification: étatique, éducative et sanitaire avec un abandon de leurs infrastructures respectives». La zone est actuellement inaccessible en raison d’attaques djihadistes. Episodiquement, ce sont d’antiques postes de radio, qui livrent les échos des affrontements et attentats djihadistes. Mais aussi le magnifique Les Chemins de l’exil dû au mythique groupe de hip-hop bukinabé, Yeelen.
Le Périmètre de Kamsé. Dès le 26 mai en salles romande. Dès le 18 mai, avant-premières en présence du réalisateur. Rens.: www.outside-thebox.ch