Créée en 2019 avant la distanciation sanitaire, «Audition» d’Olivier Dubois, chorégraphe qui fut associé au Ballet Junior, propose des auditions menées par visio Skype et voix off d’un évaluateur-recruteur invisible. Qui pourrait être une virtualité informatisée. Cette pratique est aujourd’hui devenue dominante. La pièce n’en est que plus dans le vif des temps présents. Bien que le spièces à créer sont régulièrement reportées, voire annulés ou reconfigurées pour le streaming. Ceci en fonction des conditions sanitaires.
Chez l’interprète qui postule, se lit la mise à nu d’un être pour une idée, un travail artistique et un contrat. Soit rendre son corps disponible, en audition face à un jury. A l’ère de Me Too, La pièce interroge pertinemment le mélange de soumission, virtuosité, singularité et parfois créativité que représente ce passage obligé mais rarement critiqué et détaillé ainsi dans une vie pour et par la danse.
Quotidien dansé révisité
Au plateau devenu crash test éliminatoire de leurs capacités et expressivités pour de créations en devenir, les 38 interprètes du Ballet junior évoluent notamment sur un tapis sonore de fitness techno disco. En boucles répétitives, leurs tâches sont de s’habiller puis de se dévêtir fébrilement. Comme le reflet aussi, accéléré jusqu’au vertige, d’un quotidien d’avant et après labeur dansé.
Corps s’enroulant sur soi, dégagés architecturés, tressautement et torsions se déposent sur leurs mouvements comme autant de GIF animés ou vignettes dansées. Décryptage du monde du travail chorégraphique exigeant, dur voire sans pitié. 1900 candidat.e.s pour quelques emplois dans le cas d’une récente pièce du chorégraphe français. Et la crise pandémique n’a rien arrangé. Entretien.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la mécanique de l’audition ?
Olivier Dubois : Deux raisons ont motivé cette création il y a deux ans. La première constitue le fruit d’avoir été associé au Ballet Junior pendant trois ans, dont cette création est la conclusion de cette collaboration. Audition parle à des jeunes interprètes d’un venir qui leur est proche. La pièce peut aussi fédérer l’intégralité de ce que compose ce de toutes les promotions du Ballet Junior. Cette réalisation leur parle de leur réalité présente et surtout à venir.
Il s’agit moins d’un décryptage que d’anatomie de l’audition. Plus que de mécanique d’une phase d’embauche, l’audition met en mouvement une question vitale. Soit donner les forces de vie et de motricité de ces moments de fausse vérité. Ainsi si quelque chose va se dire et manifester dans l’instant, ce n’est pas la vérité d’une personne, de sa carrière ou vie. Une autre dimension m’importe, la place de l’interprète, mélange de force et fragilité que je défends depuis toujours dans mon travail.
Que voit-on au début ?
Le public arrive aujourd’hui à ce spectacle avec une réalité pandémique en vigueur depuis quinze mois. La sculpture initiale, à la création en 2019, formée des corps agrégés des danseurs.ses est comme dilatée, explosée. A l’image de ruines éparpillées qui vont ensuite se reconstruire.
Autour de la choralité ainsi formée, on trouve la notion de service rattachée à l’interprète. Partant, être au service de l’œuvre et disparaître pour elle. Mais cette idée va toujours dans une séquence au fil de mes créations, servir l’individu, l’interprète. Se nourrir de cela et acquérir une dimension glorieuse, brillante. Si le temps existe pour rencontrer chaque interprète au fil d’une création, j’aime aussi la construction chorale d’un ensemble, une addition de personnalités, davantage qu’une masse. Durant la pièce, chaque personne apparaît ainsi toujours plus fortement, singulièrement.
Sur le thème de l’héroïsation…
Tous ces héros naissent d’une terrible vulnérabilité. C’est le combat à traverser, les turbulences et bouleversements. Souvent la figure héroïque est associée à une victime à secourir, voire sauver. C’est un sujet de prédilection dans l’histoire de la peinture. La mort de l’Autre se décline souvent au fil d’une lutte.
Mais encore…
Il s’agit d’un combat marqué à la fois par une grande solitude et le fait de continuer à se redresser. Et produire du modèle. Au sens de la projection et de l’incarnation. Pouvoir s’incarner, trouver un écho. La crise sanitaire a participé à populariser la formule de « héros civil », où le simple fait de mourir ferait de vous un héros. Ce qui parait discutable.
Au plan de l’écriture de la partition, il existe un combat physique et mental à mener avec cette incarnation. Ce n’est alors que, fort d’avoir traversé ces turbulences qu’une métamorphose peut se produire. A un moment, quelque chose sort. Qui est de l’ordre de la gloire, du redressement brillant et accueillant.
La scène dévoile des auditions gérées par Skype. Avec une voix off parlant de manière neutre aux interprètes qui candidatent (exercices combinatoires de phrases chorégraphiques toujours plus complexes à réaliser, personnes sélectionnées ou éliminées portant des dossards à numéros…)
C’est visionnaire relativement aux conditions sous pandémie privilégiant le virtuel et l’écran imposé. La grande majorité des interprètes passe ainsi leurs auditions. Cela n’est pas sans conséquences sur la confiance mutuelle que le cantonnement à l’image met à mal. Comme chorégraphe, il ne m’est jamais possible actuellement de concrétiser mon envie de rencontrer la personne qui danse en réelle présence après la vidéo.
Il existe plusieurs dramaturgiques majeurs. Par l’omnipotence de l’image, on relève une disparition progressive possible de l’identité de la personne qui auditionne. J’ai voulu ainsi placer la pièce à l’endroit de l’interprète. Et ne pas donner de corps, d’identité au chorégraphe qui va choisir. L’autorité en devient une matière invisible.
Propos recueillis par Bertrand Tappolet
Audition. Pavillon de la danse. Du 6 au 9 mai, Genève. Représentation en ligne aussi le 9 mai à 18h. Rens. et inscription avec lien: pavillon-adc.ch