Quand j’étais jeune, le sage était un monsieur vieux, barbu et révéré. Sa parole était d’or et la majorité des gens y adhéraient, à défaut de suivre ses préceptes. Aujourd’hui, les sages sont des jeunes filles de plus en plus précoces: Greta Thunberg, née le 2.1.2003, a commencé sa grève scolaire à 15 ans. Et voici qu’en Inde, une fillette de 13 ans, Ridhima Pandey, suit les traces de son aînée.
Les sauveurs qui les ont précédées se sont révélés plus tardivement. Le ministère de Jésus commence quand il a environ 30 ans. Gandhi a 24 ans quand il réagit pour la première fois à une discrimination raciale dans un train d’Afrique du Sud. Martin Luther King en a 26 lorsqu’il organise le boycott des bus de Montgomery, après l’arrestation de Rosa Parks, qui avait refusé de céder sa place à un Blanc.
Greta et Ridhima sont des adolescentes, et elles semblent avoir déjà tout compris. Nous avons découvert Greta Thunberg en août 2018. Elle était assise devant le Parlement suédois, tenant devant elle un écriteau où elle avait écrit «grève de l’école pour le climat», écriteau qu’elle transportera partout. Le vendredi, elle manquait les cours pour manifester. Elle revendiquait que la Suède se conforme à l’accord de Paris. Elle fut d’abord seule et ignorée, puis les médias s’intéressèrent à elle, des journaux et magazines internationaux, du Time Magazine à Vogue, en firent leur Une.
C’est à l’école, quand elle avait 8 ou 9 ans, que Greta Thunberg commence à s’intéresser au climat. Elle arrête de manger de la viande, de boire du lait, d’acheter des produits neufs, «sauf si nécessaire». «Ce sont juste quelques petits changements dans ma vie quotidienne», résume-t-elle. Dans l’appartement familial cossu et spacieux, niché en plein cœur de Stockholm, les habitudes de la famille ont, elles aussi, rapidement changé. Sa mère, Malena Ernman, cantatrice, son père, Svante Thunberg, acteur, et sa sœur cadette Beata ont pris conscience du combat de l’aînée de la famille après sa dépression: hantée par la cause climatique et les menaces l’entourant, la jeune fille est tombée malade à 11 ans, arrêtant de s’alimenter, d’aller à l’école et de parler, raconte son père. Sa mère a alors cessé de voyager à travers le monde, limitant ses déplacements aux pays nordiques et abandonnant l’avion pour rejoindre le combat mené par sa fille, qui refuse de voler «à cause du climat». Son combat, baptisé «Fridays For Future», s’est propagé à tous les continents.
Grâce à elle, des centaines de milliers de jeunes se mobilisent partout dans le monde et organisent des manifestations. En Suisse, elle a séduit le prix Nobel Jacques Dubochet. Des débats ont lieu autour d’elle et de ses revendications, elle est invitée à Davos, au sommet des Nations Unies sur l’action climatique, le 23.9.2019. Dans son discours, elle lance «How dare you?» («Comment osez-vous?») à la soixantaine de politiques présents, expression largement reprise par la presse et les réseaux sociaux. Des parlementaires nordiques la sélectionnent pour le Nobel de la paix. En juin 2019, elle succède à Václav Havel, Nelson Mandela et Malala Yousafzai comme récipiendaire du prestigieux Prix Ambassadeur de la conscience d’Amnesty International.
Ridhima Pandey n’a que 5 ans lorsqu’une tempête s’abat sur l’Uttarakhand, en juin 2013, suivie d’inondations, qui provoquèrent la mort de 5000 personnes. Profondément marquée, elle a déposé une pétition dans laquelle elle demande au gouvernement indien d’avoir un «budget carbone». Actuellement, elle est la porte-parole de la jeunesse indienne, qui estime être la première victime de la pollution de l’air, des fleuves et de la hausse des températures. Ridhima Pandey s’est impliquée dans le mouvement «Save Thano Forest», qui s’oppose à la décision du gouvernement d’Uttarakhand d’abattre plus de 10’000 arbres pour agrandir l’aéroport de Dehradun. Elle a été distinguée par la BBC parmi les 100 femmes qui changent le monde.
Partout, la jeunesse se mobilise, consciente que les changements climatiques la concernent directement. Nous sommes la dernière génération qui peut mettre fin aux changements climatiques. Nous pouvons le faire et nous le ferons. Khishigjargal, 24 ans, Mongolie.
La mer engloutit des villages, empiète sur les rivages, flétrit les récoltes. Devoir aller vivre ailleurs…, les pleurs pour les proches qui meurent de faim et de soif. C’est catastrophique. C’est triste, mais c’est ce qui arrive. Timoci, 14 ans, Fidji.
Pendant ce temps, celles et ceux qui gouvernent le monde continuent à investir dans des autoroutes, des aéroports, qui appartiennent déjà au passé, et envisagent des mesures écologiques à prendre en 20 ans, 40 ans! Des entreprises continuent de forer la terre, au mépris des habitant.e.s, et de prélever le pétrole et le charbon qui nous empoisonnent. La pollution est partout présente, le CO2 rejeté dans l’atmosphère augmente, 100 espèces disparaissent chaque jour en raison de la déforestation, de nouveaux virus se développent, les glaciers fondent, des scientifiques prédisent que cela fera monter le niveau des mers de 2 mètres, ce qui anéantirait non seulement les atolls des Maldives et d’Indonésie, mais toucherait les villes qui se trouvent au bord de l’eau: New York, Londres, Shanghai, Bombay, Hong Kong,Calcutta, Jakarta, Hanoi, Rio, Buenos Aires, Tokyo…
Avec 2° supplémentaires, le niveau des mers continuera à s’élever pour couvrir des territoires aujourd’hui peuplés de 280 millions de personnes. Avec 4° de plus, le phénomène concernerait plus de 600 millions d’habitants. Inde, Bangladesh, Vietnam, Indonésie, Japon, Etats-Unis, Philippines, Egypte, Brésil, Thaïlande, Birmanie, Pays-Bas seront les pays les plus touchés…
Jacques Attali, dans son ouvrage L’économie de la vie, écrit qu’il est nécessaire de passer de l’économie de marché à l’économie de la vie: les secteurs qui remettent l’humain au centre, soit la santé, l’alimentation, l’hygiène, l’énergie propre, l’éducation, la recherche, les télécommunications, le digital, la sécurité, l’information, la culture et tout ce qui touche à la démocratie.
Comme nous ne pouvons pas compter sur nos gouvernant.e.s, tournons-nous vers notre jeunesse, et suivons ses directives, même les plus drastiques, si nous voulons sauver l’humanité.
Et allons manifester, demain 1er Mai, comme en chaque occasion.