La Cité de la discorde

Genève • Soumis au vote le 13 juin, le projet d’une gigantesque Cité de la Musique dans un parc centenaire, essentiellement dévolu au classique, est contesté.

Des Verts, la gauche combative, des associations de défense du patrimoine et représentants d’artistes sont ainsi vent debout face à la future Cité musicale. Promu et construit à hauteur de 300 millions par la Fondation Wilsdorf, l’un des plus gros mécènes du canton, le projet entend transformer le parc et la villa du site de la Feuillade, à quelques encablures de la Place des Nnations, en paquebot de verre et béton (40 m de haut, 140 m en longueur). La maquette comprend notamment une salle de concerts de 1580 places, mais aussi des salles de classe pour 500 étudiant.e.s en musique, plateau de répétition et restaurant. Tout ce chambardement ne fait pas l’unanimité.

Ville, PS et droite favorables

Si la Ville est pour, de même que le PS et les partis du centre-droit, des réfractaires issus des Verts, d’Ensemble à Gauche, du Parti du Travail (PdT) et de l’UDC tenaient conférence de presse. Pour dire tout le mal qu’ils pensent de ce projet. «Qu’un bâtiment à l’effigie de Rolex soit construit au milieu d’un quartier abritant le collège des nations pose un problème en termes d’image et d’éthique. Les Genevois ne peuvent pas entériner un tel message au monde», assène Björn Arvidsson, de l’association SOS Patrimoine CEG.

Préalablement, la Conseillère municipale Verte Léonore Baehler avait dénoncé l’impact sur l’environnement du projet, pointant un «désastre écologique pour la biodiversité». «Le projet prévoit l’abattage de 130 arbres. La compensation proposée n’est pas suffisante, alors qu’un rapport de l’Université de Colombia de 2018 prévoit que Genève fera partie des 13 villes au monde qui subira la plus forte augmentation des températures d’ici 2020 (entre 0,9 et 2,5°C)», a-t-elle critiqué. Représentante de Patrimoine suisse-Genève, Isabelle Brunier considère que la destruction de la maison de maître, construite par l’architecte Gustave Brocher à la fin du XIXe siècle, est un «prix trop lourd à payer» pour l’édification d’un «bâtiment de prestige».

Tout pour le classique?

L’artiste lyrique indépendant Julien Durmarcay et Raphael Ortis, porte-parole des musiciens et artistes indépendants de Genève ont dénoncé la monoculture de subventions publiques concentrées par la musique classique. «Celle-ci représente 95% des subventions, alors que les musiques actuelles émargent à seulement 5%», souligne Ortis.

«Le Grand Genève possède 80 salles de spectacles et trois sont encore prévues à Vernier, Bernex et Plan-les-Ouates. C’est trop d’autant plus que le Victoria Hall ou le Bâtiment des Forces Motrices (BFM) sont sous-utilisés», précise Durmarcay. Il rappelle que les collectivités publiques devraient prendre en charge 6,5 millions pour le fonctionnement, auxquels il faut ajouter 430’000 francs pour l’entretien du parc. Quant à savoir s’il n’y a pas nécessité de regrouper les locaux épars de la Haute école de musique (HEM), l’élu Vert Phillipe de Rougemont, estime que cela pourrait se faire sur le site de la Praille-Acacias-Vernets (PAV). Pour l’heure exclusivement occupé par des bureaux et logements.

Représentante d’Ensemble à Gauche-solidaritéS, Brigitte Studer a fustigé la disparité des moyens financiers pour la campagne qui s’annonce chaude. Entre ceux de la Fondation Wilsdorf et de la Ville de Genève en faveur du projet, d’une part, et les référendaires, de l’autre.

Concert de refus

Membre du PdT, Morten Gisselbeak tranche: «la Cité de la Musique est complètement à côté de la plaque». A ses yeux, «il ne s’agit pas d’un projet local, populaire comme le prétend la Fondation, mais qui vise la renommée, l’accueil de grands orchestres ou d’échanges internationaux. Elu UDC, Eric Bertinat ferraille contre l’impact au niveau coûts de la Cité de la musique sur les finances publiques. Ceci «alors que les comptes de la Ville ne sont pas bons dans l’un des cantons les plus endettés de Suisse». Pour le PdT, Tobia Schnebli porte l’estocade: «Avec son projet, la Fondation Wilsdorf n’offre pas un cadeau à la Ville. Elle va impacter la politique culturelle des prochaines années, alors que celle-ci devrait être débattue démocratiquement».