Humanité jardinière et vieillesse à l’écoute

Podcast • «Entrelacs» interroge le lien d’humains prenant soin de ce qui est devenu rareté et luxe: le jardin. «Vieille peau» se penche sur la perception d’un âge souvent ignoré et confiné parfois malgré lui, la vieillesse.

Dessin de Lucie Eidenbenz en lien avec "Entrelacs". Ou le jardin multiforme arpenté par un récit de voix nous reliant à l’ensemble du vivant. (DR)

En ce printemps incertain et bourgeonnant de promesses, le podcast propose plus que jamais un médium pour chacun.e plutôt qu’un média généraliste. Il est l’un de devenirs de la radio créative démocratisée à l’ère pandémique. Le Théâtre Forum Meyrin et Radio Vostok ont mis sur pied une réalisation de podcasts.

Huit ateliers de création sonore ont été sélectionnés parmi des projets d’artistes locaux. Ce glanage de field recording ou enregistrement sur le terrain, récit fragmentaire et kaléidoscopique de voix sur des réalités plurielles et textures sonores est diffusé sur la plateforme genevoise de podcasts créée à l’occasion, Radio Bascule.

Le vivant familier et méconnu

Difficile de faire plus actuel dans le propos. «C’est dur d’essayer de ne pas mourir tout le temps», glisse ainsi l’une des voix jardinières témoignant dans Entrelacs. Décloisonner les espaces, sortir des boîtes confinées successives dessinant nos vies. Pour s’entrelacer, même avec l’adversité. A la manière des ronces ou des plantes qui cohabitent en se servant mutuellement l’une de l’autre.

Se reconnecter aussi avec une terre oubliée, martyrisée, polluée et appauvrie aux pesticides. Cette pièce sonore se veut une investigation mêlant la concrétude du travail de la terre et de ses fruits, la permaculture et la gravité de notre présence au monde aux perceptions sensorielles. Comme autant de manières «d’apprivoiser sa propre vie, entrelacée avec celle des autres – dans cette interdépendance», relève la conceptrice de ce podcast, Lucie Eidenbenz.

Conte

Au départ, il s’agit de nommer fruits, légumes, buissons et matières. «Une manière de faire exister le lieu dans les mots. Et de lui faire prendre la forme d’un jardin enchanté, fantastique. La pomme de terre ou l’aubergine en prennent des qualités de noms propres, de quasi-personnages de contes suscitant un imaginaire», souligne l’artiste.

Ou comment nourrir l’émerveillement face au végétal devenant gigantesque buisson comme un labyrinthe serpentant en pleine jungle. D’où le choix de voix parfois chuchotantes, «souterraines, venant travailler dans la profondeur de ce qui est sous nos pieds.»

Faire jardins et humanité

De l’humain, les jardins en reflètent culture, savoirs, utopies et pratiques. Celle de laisser, par exemple, faire la nature. Ceci en prévoyant plus de légumes et terrestres nourritures, pour limaces, escargots et oiseaux prompts au grappillage. «Ces personnes sont fascinantes par le soin qu’elles apportent au jardin. Il s’en dégage un savoir-vivre, une sensibilité au vivant sous toutes ses formes et expressions, loin de s’appliquer uniquement à l’univers jardinier. Soit prendre soin de nous-mêmes et de cette relation à ce qui nous entoure et nourrit.»

Par ailleurs, la chorégraphe et plasticienne prépare une nouvelle création. Son intitulé, Just make it not look like dance est la réunion de plusieurs éléments. L’injonction décalée du credo capitaliste Just do it, une «contrainte-énigme imposée par un festival iranien sur une pièce de danse que je devais présenter.» Sans oublier «la formule bien connue de La Trahison des images de Magritte». Elle questionne la fonction de la censure et les signes du vivant en mouvement face aux catégorisations du langage. «Cela se traduit par une forme de démonstration par l’absurde, et une écriture disruptive privilégiant l’interruption à la linéarité.»

Dire la vieillesse

Une autre réalisation se révèle marquante à l’écoute, Vieillir. Partir de son corps pour «converser» dans le sens aller vers. Toutes générationconfondues. Juvénile peau de 32 printemps, la comédienne Charlotte Dumartheray réfléchit à la construction de la vieillesse. Dans cette enveloppe charnelle habitée, l’on «se sent tour à tour, bien, à l’étroit ou perdu», relève-t-elle. A ses yeux, voici une façon pertinente de questionner nos corps et apparences sur un mode intensément intime.

L’approche se veut fidèle à celle du cardiologue Philippe Abastado s’interrogeant ailleurs: «Peut-on se délecter du corps qui ralentit?… Ou peut-on, tout simplement, accepter sans souffrir, ce dont la vieillesse est le signe ultime: notre finitude?» Pour l’artiste, ce médecin va à l’encontre d’une vision biologique insistant sur les connotations et les sensations dont est empreint le mot vieux-vieille. L’être, serait se sentir inutile. Être vieux pourrait toutefois se ressentir à tout âge. «On peut se sentir vieux en fonction de circonstances, d’un contexte, un interlocuteur ou le regard des autres dont émane souvent le sentiment de vieillesse.»

Etonnement

D’entrée de jeu, la réalisatrice rencontre des enfants. L’une confie que vieux, c’est être comme grand-maman qui a… 36 ans. «Des jeunes sont plus vieux» que les seniors complète Marie-Thérèse, 74 printemps. La voix de la comédienne pose un décor corporel dans lequel se projette beaucoup d’elle. A l’EMS, l’artiste rencontre ainsi une vieille dame dépeinte comme «impressionnante de dignité».

Plus loin, l’écrivain Pascal Rebetez concilie, mélancolique: «Mon coeur se coiffe avec les doigts» (Poids lourd). À tout âge, l’amour redonne le même visage, le même étonnement devant le monde. Il existe des vieillesses multiples suggère ce podcast. Le temps est ici encore à la mémoire et à l’expérience alors que le monde contemporain semble désespérément voué au présent.

A écouter sur: www.radiobascule.ch