Le groupe LafargeHolcim, propriétaire du site, qui prévoit d’étendre sa carrière sur le plateau de ce haut lieu de diversité naturelle et de trésors archéologiques, semble avoir trouvé grâce aux yeux de la justice vaudoise. Si la méthode de l’occupation illégale de propriété divise l’opinion et choque les milieux bourgeois attachés à la sacro-sainte paix sociale, elle a le mérite de nous mettre face à notre rapport à l’environnement et nous invite à réfléchir à notre vision de l’habitat. La propriété privée est-elle toute puissante face à la préservation de l’environnement? Le droit à la rentabilité prime-t-il sur le droit de se loger?
Habitat et inégalités
«Il faut bien du béton pour construire nos immeubles!». Voilà ce que rétorquent beaucoup d’opposants à la ZAD de la Colline. Il est vrai que le bâtiment représente en Suisse un secteur important. Si des méthodes de construction plus écologiques que le béton existent à ce jour, elles ne peuvent suffire à elles-seules à maintenir l’actuelle cadence de construction. Toutefois, il serait bon de nous arrêter sur ce besoin qui nous est indispensable pour vivre: un foyer. A l’heure où la droite se pose la noble question du financement de l’AVS (et propose de faire porter cette charge aux travailleuses), l’investissement immobilier est toujours présenté comme un moyen sûr pour compléter une rente de retraite. Le refuge comme valeur-refuge. Un refuge rentable donc. Si l’habitat des uns est source de profit pour les autres, n’est-ce pas là une source d’inégalité flagrante?
Quels sont ces logements rentables dans lesquels nous vivons? La valorisation du travail tertiaire est concentrée essentiellement dans les grandes agglomérations. Elle crée une pénurie qui assurera à l’investisseur un rendement intéressant et la garantie de limiter les risques de logements vacants. Dans les régions décentralisées, on choisira en revanche de construire des logements plus spacieux, voire des maisons individuelles, pour attirer les classes qui peuvent se permettre un confort plus bourgeois. Pour les travailleurs les plus précaires, ils se verront repoussés en périphérie où se contenteront de logements vétustes.
Logements coûteux
Quant aux plus chanceux, ils pourront bénéficier de maisons individuelles préfabriquées, des boîtes de béton s’étendant sur des terres qui pourraient être cultivables. Et lorsque la question de la souveraineté alimentaire se pose, on demande à s’approvisionner à l’autre bout du monde en échange de montres de luxe et de machines, le tout au mépris de l’écologie. En moyenne, plus de 14% du budget ménager se verra accordé au logement. La part grimpe à 30% concernant les revenus inférieurs 5000 CHF (1). Ceci que ce soit un choix par défaut pour les plus précaires. Ou un confort minimum en contrepartie de la force de travail que l’on se voit obligé de vendre au patronat.
Travailler plus et plus longtemps, afin de pouvoir financer son loyer, ou rechercher un confort bourgeois comme juste récompense, est-ce là la société souhaitée? C’est le jeu du libéralisme dira-t-on, et le résultat d’une quête de liberté individuelle que ce système prône comme ultime objectif. La liberté de vivre retranché, bien à l’abri du reste du monde, pour user de ce droit à la consommation durement gagné.
Profit écocide et alternatives
Mais les enjeux de notre époque nécessitent une remise en question immédiate. Notre rapport au travail, à l’environnement, au logement, au vivre-ensemble, tout ceci s’avère intimement lié. Et si nous nous focalisions sur nos besoins primordiaux – se nourrir, se loger, interagir socialement – et que nous arrêtions un instant cette course effrénée vers le profit écocide, qui impose à l’individu de vendre à tout prix sa force de travail aux dépens de la santé des esprits et des corps?
Car les alternatives à la configuration dominante existent bel et bien. La multiplication des surfaces agricoles à taille humaine pour encourager les circuits courts, la réduction du temps de travail, la densification des habitats et des services profitant à la communauté sont autant de propositions à développer pour retrouver une harmonie entre les êtres humains et leur environnement. Et si nous tentions autre chose que le bonheur individuel issu de la consommation, au profit d’un bien-être collectif, de construction saine et démocratiquement réfléchie? C’est ce que suggèrent des projets comme celui des zadistes de La Sarraz. Car comme le souligne Sophie Serrano, doctorante en criminologie à l’université de Neuchâtel: «Une zone à défendre antidémocratique, cela n’existe pas» (2). La ZAD de la Colline rayonne par les questions qu’elle pose et les alternatives qu’elle propose par l’exemple.
Certes tout le monde ne peut vivre en communauté et les modèles sont multiples. Mais une société devrait permettre à chacune et chacun de se loger dans le respect de l’environnement, selon ses besoins, sans que ceux-ci ne soient sources d’enrichissement pour les plus aisés. Pour reprendre le premier écrit que l’on peut lire sur le chemin menant vers ce lieu de renouveau proposé par les zadistes: «Et si habiter voulait dire quelque chose de plus grand que de vivre entre quatre murs?».
1 Selon les chiffres publiés par l’OFS (mars 2020)
2 https://www.letemps.ch/opinions/une-zone-defendre-antidemocratique-nexiste