Si j’ai dénoncé de tout temps la tendance des garçons à se battre, la violence des hommes, le besoin qu’ont certains de «régler» les problèmes à coups de poing, comme on le voit dans beaucoup de films, je n’avais encore jamais raisonné en termes pécuniaires. C’est une émission de radio qui a attiré mon attention sur cet aspect du problème. Mais bien sûr! Toute cette violence a un coût: 100 milliards d’euros par an en France. Quand je pense à tout ce qu’on pourrait faire avec cette somme: diminuer le nombre d’élèves par classe, soutenir et apaiser les banlieues, s’occuper des sans-abris, remettre des lits dans les hôpitaux, diminuer l’empreinte carbone…
A titre de comparaison, la France dépense 73 milliards pour l’enseignement, 44 pour sa défense, 28 pour la recherche et l’enseignement supérieur, 24 pour la solidarité et l’égalité des chances, 12 pour le travail et l’emploi, 12 pour l’écologie, 6 pour les régimes sociaux et de retraite, 3 pour l’agriculture, 3 pour la culture, 1 pour les sports, la jeunesse et la vie associative.
Le coût de la virilité, ce que la France économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes est un livre de Lucile Peytavin. «En France, les hommes sont responsables de l’écrasante majorité des comportements asociaux.» Ce postulat de départ s’appuie sur les statistiques officielles de l’Hexagone: des hommes y commettent 86% des meurtres, la quasi-totalité des viols (99%), presque tous les incendies criminels (99%), les vols avec arme (95%), les cambriolages (91%), les vols de véhicules (95%), les infractions sur les stupéfiants (93%), les destructions et dégradations (90%), ainsi qu’une grande part des accidents mortels sur la route (84%). En prison, 96,3% de la population carcérale est masculine.
Contrairement à l’âge ou au milieu social, le prisme du genre, chez les criminels, est peu mis en avant. Deux mécanismes expliquent cette invisibilité: «D’abord, on pense souvent que les hommes sont violents parce que cela fait partie de leur nature», explique Lucile Peytavin dans l’émission Tout un Monde (9.3.21, RSR1, Eric Guevara-Frey/Mouna Hussain). «Ensuite, la norme est masculine. Dans notre langue, par exemple, le mot «homme» désigne à la fois le sexe et l’espèce. Les comportements des hommes sont donc la norme. La violence des femmes, elle, est perçue comme contre-nature dans nos schémas culturels. On la scrute davantage, alors que celle des hommes, beaucoup plus étendue, est presque invisibilisée.»
Le coût de la virilité est de deux ordres. Il y a d’abord le coût direct, supporté par l’Etat, comme les frais de justice (7 mds par an), de défense et sécurité (9 mds par an), de services de santé (2,3), soit 18,3 mds. Et le coût indirect supporté par la société, lié aux souffrances physiques et psychologiques des victimes, qu’on peut estimer financièrement avec les pertes de productivité des victimes et des auteurs, les destructions de biens, etc., qui représentent 76,9 mds. En additionnant ces coûts, on arrive à près de 100 milliards d’euros par an, ce qui est colossal: cela correspond à peu près au déficit annuel du budget général de la France.
D’après Lucile Peytavin, il est possible de transposer ce raisonnement à la géopolitique mondiale. «On peut penser que sans une conception virile des relations internationales, qui sont bien souvent régies par une volonté de domination et d’asservissement, il y aurait moins de guerres. Et quand on sait que les guerres coûtent, environ 14’000 milliards de dollars par an, il serait intéressant d’analyser ces questions à l’aune de la virilité.» L’auteure tient à préciser: «Il y a une différence entre la virilité qui repose sur des valeurs de force, qui servent à dominer, à écraser, et celle prônant la volonté, l’ambition ou le dépassement de soi, qui permettent des progrès dans nos sociétés.»
Comme solution, l’autrice prône une déconstruction des valeurs viriles enseignées aux garçons. La virilité n’est pas innée, mais acquise. «Je ne vise pas les hommes avec ce livre, mais les valeurs viriles. Les hommes ne sont pas violents par nature. La science a largement démontré que rien ne les prédétermine à se comporter ainsi, ni le cerveau ni la testostérone. Celle-ci est souvent pointée du doigt, mais les dernières études montrent que, chez un même individu, un taux élevé de testostérone pouvait aussi bien engendrer des comportements altruistes que pacifiques. C’est l’éducation à la virilité qui les pousse à se comporter de manière violente.»
L’histoire permet également de déconstruire l’idée que la virilité a toujours été présente. «Aujourd’hui, on sait que, dans la paléo-histoire, ou ce qu’on appelle le temps des cavernes, les sociétés étaient relativement égalitaires. Contrairement à ce qu’on croit, les femmes aussi chassaient, elles ne passaient pas leur temps à s’occuper des petits. C’est au néolithique, avec la sédentarisation des populations et l’avènement de l’agriculture, qu’il y a une division des rôles entre hommes et femmes, une hiérarchie du masculin sur le féminin qui s’est creusée en même temps que les inégalités sociales. A ce moment-là, la virilité s’incarne dans l’utilisation des armes en métal par les hommes. Cela prouve que la virilité est une construction culturelle.»
Pour baisser les coûts de la criminalité, Lucile Peytavin invite à réfléchir sur l’éducation des garçons. Elle relève que la moitié de la population, à savoir les femmes, «ont des comportements beaucoup plus pacifiques, plus en adéquation avec les sociétés de droit dans lesquelles nous vivons. Elles sont peu ou pas éduquées avec leurs valeurs viriles. Si l’on permettait aux garçons d’être éduqués à travers les valeurs qu’on inculque aux filles, en leur permettant par exemple de jouer avec des poupons pour qu’ils apprennent à s’occuper d’autrui, en développant chez eux davantage leurs sentiments pour qu’ils deviennent empathiques, en les contraignant suffisamment pour qu’ils apprennent à respecter des règles, tout ce que font les femmes, finalement, on économiserait ce colossal coût humain et financier.»
Or, il existe une résistance autour de la virilité, parce que ce qui est perçu comme féminin est souvent dévalorisé. «Il est par exemple toujours quasiment impossible de mettre un t-shirt rose à un petit garçon. Cela peut paraître anecdotique, mais c’est révélateur de la résistance qu’il y a autour de ces questions de virilité et en même temps de la dévalorisation de tout ce qui est dit féminin. L’un ne va en fait pas sans l’autre.»
Il n’y a rien à ajouter.