Symptômes de notre société patriarcale

La chronique féministe • Quand j’ai entendu à la radio que PPdA, l’ex-présentateur vedette du journal de 20 heures d’Antenne 2 (1975 à 1984) puis de TF1 (1986-2008), était accusé de viol et violences sexuelles par l’écrivaine Florence Porcel, cela ne m’a pas étonnée.

Quand j’ai entendu à la radio que PPdA, l’ex-présentateur vedette du journal de 20 heures d’Antenne 2 (1975 à 1984) puis de TF1 (1986-2008), était accusé de viol et violences sexuelles par l’écrivaine Florence Porcel, cela ne m’a pas étonnée. Je me suis dit que d’autres témoignages suivraient, ce qui n’a pas manqué. Il suffit qu’une personne ose parler pour que d’autres se sentent enfin le droit et le courage de témoigner à leur tour. Surtout depuis que l’affaire Weinstein a donné naissance au mouvent international #MeToo.

Le scénario est toujours le même. Un homme puissant, fort de son succès et de sa notoriété, développe un ego démesuré et se croit tout permis. Ces prédateurs choisissent de jeunes proies, qu’ils subjuguent avant de les attaquer. Certaines résistent, au risque de perdre leur emploi, mais la plupart subissent et n’osent pas se plaindre: qui les croirait? Surtout, elles sont les victimes d’un vaste système patriarcal qui trouve normal de considérer les femmes comme des objets sexuels à la disposition des mâles en rut. Chaque fois, l’entourage et la hiérarchie sont au courant, mais ferment les yeux, pour ne pas tuer la poule aux oeufs d’or ou, pire, pour ne pas remettre en cause une structure dont ils font intrinsèquement partie. Les jeunes femmes qui venaient régulièrement dans le bureau de la star du 20 heures étaient surnommées, par ses assistantes, «le McDo de Patrick»!

L’entourage politique de DSK l’avait mis en garde: il devait faire attention à son comportement, parce que les Etats-Unis ne sont pas la France, si tolérante, à l’époque en tout cas, envers les pires dérives du libertinage à la française. La plainte de Nafissatou Diallo a provoqué des réactions hypocrites chez les camarades socialistes, dont des arguments de défense aussi honteux qu’intolérables:«troussage de domestique», «droit de cuissage».

On trouve les premières traces écrites de ce droit» dans la culture mésopotamienne du 18e au 17e siècle av. J.-C., au début de l’Epopée de Gilgamesh. Ce roi divin mais tyrannique de la ville d’Uruk s’octroie le droit de déflorer toute jeune fille de sa cité. Ce comportement est cependant jugé néfaste par les dieux (pour une fois qu’une divinité prend la défense des femmes!), qui lui envoient, pour le punir puis le guider, un rival qui deviendra son ami, Enkidu. Il s’agit donc, déjà à cette époque, non pas d’un «droit» mais d’un abus de pouvoir. Selon Voltaire, dans son Dictionnaire philosophique, il est indubitable que des abbés et des évêques s’attribuèrent cette prérogative en qualité de seigneurs temporels, mais il souligne que cet excès de tyrannie ne fut jamais approuvé par aucune loi publique.

Le passage du nomadisme à la sédentarisation prend son essor à partir de -6000 ans, une révolution agricole qui marque le passage du paléolithique au néolithique. Les humains cultivent le sol et domestiquent les animaux. C’est le début de la propriété, qui va conduire à la domination des femmes par les hommes. Les religions, les lois ont ensuite infériorisé les femmes, et si le droit de vote féminin a été partout et si longtemps interdit, c’était pour garder la moitié de l’humanité au service de l’autre.

Rappelons cette affirmation désastreuse de Rousseau, qui devait tant aux femmes, et fut visionnaire et progressiste dans tous les autres domaines, tirée du chapitre 5 de L’Emile, dédié à Sophie: «Toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce: voilà les devoirs des femmes dans tous les temps, et ce qu’on doit leur apprendre dès l’enfance.»

Cette structure patriarcale des sociétés, on la retrouve partout: dans la famille, l’éducation, les places de jeu (les terrains de foot envahissent l’espace), au travail, dans les médias, l’économie, la politique, les guerres, les famines, les migrations, l’écologie, les violences faites aux femmes. Elle est relayée par les arts, la publicité, les écrits, notamment les manuels scolaires, dont aucun n’est parfaitement égalitaire (j’en ai consulté des centaines pour mon travail de diplôme en Etudes genre). Si dès l’enfance, on répète aux garçons qu’ils sont les plus forts et occuperont les fonctions les plus prestigieuses, et aux filles qu’elles doivent se soumettre, les hommes et les femmes suivront des voies différentes et finiront par apporter leur pierre à l’édifice patriarcal.

Cette façon de considérer les femmes comme une propriété me rappelle une anecdote. Je participais à un voyage en Hollande, organisé par l’émission RSR «Monsieur Jardinier» (ce titre semble inamovible, malgré les demandes réitérées). Un soir, à cause d’un malentendu, il ne restait presque rien dans le buffet, les organisateurs trouvèrent une solution avec l’hôtel. Le jardinier, qui nous avait déjà assommé.e.s dans le car avec ses blagues sexistes, passait de table en table en s’adressant aux «dames», même en présence de leur mari ou compagnon: «Si cela ne suffit pas, je viendrai vous consoler dans votre chambre.» Pour lui, il était évident, normal, naturel qu’en tant que mâle alpha, à cause de sa petite gloire médiatique, il pouvait, même en présence du mari, «consoler» les femmes dans leur chambre. Quand ce fut mon tour, je plantai mes yeux dans les siens: «Je crains que le remède ne soit pire que le mal.» Comme je ne le gratifiais pas du gloussement attendu (hélas, les femmes rient et gloussent à ce genre de plaisanteries stupides), il mit quelques secondes à comprendre, perdit de sa superbe et arrêta sa tournée.

La majorité des hommes ont toutes les peines du monde à considérer les femmes comme leurs égales. Certains semblent régis uniquement par leur cerveau reptilien, qui agit selon des schémas rigides et stéréotypés: une même stimulation produira toujours le même effet. En octobre 1971, quand Gabrielle Nanchen représenta le Valais au Conseil National, le directeur du Nouvelliste, un misogyne pur et dur, décida que son journal ne lui accorderait aucune ligne. 50 ans plus tard, il est intéressant d’observer ce qui se passe à Genève au sein du parti solidaritéS: quelques mâles alpha, jusqu’alors incontestables et incontestés, ne supportent pas d’être remis en cause par des femmes, jeunes, qui osent braver les tabous et leur dire de se taire. Ce groupe a décidé de se retirer, de garder l’argent de leurs indemnités et de fonder un nouveau parti.
Le chemin est long, escarpé et bordé d’épines…