Le documentaire Silence Radio de la cinéaste d’origine mexicaine établie à Genève, Juliana Fanjul, est un essai impressionniste à l’écriture tremblée sur le journalisme d’investigation radio sous menaces létales à Mexico. Son cinéma se situe dans le sillage de la réalisatrice brésilienne Petra Costa (« The Edge of Democracy ») mêlant ressenti intime sous forme de journal de soi, social et histoire.
Icône du journalisme
En mars 2015, la journaliste multiprimée Carmen Aristegui est virée par la station de radio MVS qui l’employait dans un Etat où les médias sont majoritairement soumis au pouvoir. peu avant, elle avait révélé l’existence d’une fastueuse résidence bâtie pour le couple présidentiel par une entreprise engrangeant des milliards de pesos en contrats publics. Le scandale appelé de la «maison blanche» a ébranlé le gouvernement d’Enrique Peña Nieto, du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI). Soutenue par 18 millions d’auditeurs, cette figure charismatique continue son combat. Son dessein est de bousculer les consciences et combattre la désinformation. «Les cartels se fichent de la liberté d’expression», affiche un message qui lui est adressé. Courriels haineux et menaces de mort sont omniprésents à son encontre.
Ni biopic ou investigation documentée, voire recueil de témoignages, le film suit l’histoire d’une quête contrariée de vérité sous emprise de tracasseries pénales et procès. Il propose les images d’une manifestation mensuelle exigeant justice pour les disparus d’Iguala, 43 étudiants enlevés et vraisemblablement exécutés en 2014. Une tragédie de deuils irrésolue impliquant cartels, policiers, militaires et complicités administratives et étatiques. «Lors de cet événement tragique, c’est Carmen qui a rapidement mis la lumière sur les parents et survivants de disparus. Son rôle d’information autour des 43 et sa dénonciation de la corruption institutionnelle du PRI lors de son retour au pouvoir ont assuré son statut d’icône du journalisme. Elle fut alors censurée, un temps, par le gouvernement Peña Nieto notamment», relève Juliana Fanjul.
Journalistes ciblés
«Le portrait du Mexique a le visage des journalistes assassinés», entend-on. Le film s’ouvre sur l’homicide de Javier Valdez Cárdenas, fondateur du journal Ríodoce enquêtant alors sur les cartels et la corruption. Un pays étranglé par une paix définie comme mafieuse. Furtivement à l’écran, un corps pendu, le meurtre d’un politique ou une scène de crime. L’horreur, la réalisatrice la suggère par des traces. Côté narration, il y a la poésie de séquences comme en apesanteur et en voiture sur des artères de la capitale. La voix off murmurante de la réalisatrice distille sur un mode biographique et informatif, son attrait pour une journaliste ayant participé à l’éveil de sa conscience politique. Elle appelle à «ne pas renoncer à notre mémoire». Face à l’impunité appliquée aux agissements de Peña Nieto par son successeur, le président de gauche Andrés Manuel López Obrador (connu sous le pseudonyme d’Amlo)
Amlo s’engage à protéger les journalistes ciblés par le crime organisé et à combattre l’impunité des assassins. A l’image, il vocifère en 2018 son programme: «Ne pas voler, ne pas mentir, ne pas trahir le peuple». Mais le niveau de violence monte d’un cran sous son mandat. Le 15 avril 2019, il lance aux reporters: «Si vous dépassez les bornes… vous savez ce qui arrive, n’est-ce pas.» Au Mexique, les pouvoirs quels qu’ils soient préfèrent les journalistes réduits au silence.
Damné.e.s de la terre
Au nord du Mexique, sous l’effet conjuguant narcotrafic, guerre des gangs et corruption des institutions, la violence a pris des proportions si endémiques que tous les chemins semblent y mener et s’y perdre. Sans signe particulier de Fernanda Valadez, se déroule au coeur d’un territoire métis et dangereux sous la domination croisée de la terreur implacable imposée par les narcos et la répression militaire et policière.
L’histoire? Une mère part à la recherche de son fils. En chemin, elle rencontre un adolescent qui pourrait devenir ce fils disparu. Avant qu’il ne soit tué par ce dernier, enrôlé de force par un cartel. «Nous avons décidé d’utiliser des images qui nous permettaient d’exprimer l’horreur de la violence d’une manière métaphorique et émotionnelle. Ainsi des figures qui ont une profonde résonance dans plusieurs cultures, en particulier la nôtre (le diable, ndr). Je pense que l’utilisation de ces métaphores nous a également aidés à exprimer que la violence vécue au Mexique est une crise humanitaire.»
Cette réalisation plasticienne et fantastique évoque dans sa photo le cinéma mélancolique, sensoriel et parfois dévasté de Terrence Malick. La violence extrême se confond avec un surréalisme magique de conte cruel et crépusculaire. La cinéaste affirme ainsi n’avoir pas voulu réaliser «un film latino-américain stylistiquement naturaliste», comme c’est le cas «traditionnellement dans le champ social». D’où une grande licence poétique prise afin d’aborder la psyché des personnages impliqués dans ce voyage vers le néant.
A propos du titre de son film, Fernanda Valadez explique: «Nous voulions renforcer la sensation que derrière l’anonymat des chiffres et des statistiques des victimes de la violence, il y a l’amour de ceux qui sont laissés derrière. Il donne un visage aux histoires et vies autrement réduites au silence». Les chiffres? Selon un rapport d’Amnesty International (2018) 35’000 citoyen.ne.s ont disparu.e.s au cours des douze dernières années au Mexique.
Silence Radio, dans le cadre du Festival FIFDH en ligne, du 5 au 14 mars sur fifdh.org. Sans signe particulier sur filmingo.ch