Depuis 1966, les Journées de Soleure sont un rendez-vous incontournable du cinéma suisse. Les trois principaux prix de la compétition ont été remis à des réalisatrices. Les films primés tout comme les longs-métrages en compétition évoquent notamment les relations affectives, l’intensité de la jeunesse et les enjeux migratoires. Paolo Moretti, délégué général de la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes, directeur des Cinémas du Grütli de Genève et membre du jury de la compétition Opera Prima « salue les efforts de la directrice Anita Hugi qui a su transformer le festival tant dans sa programmation qu’au niveau du déroulement de cette édition, de grande qualité, en dépit des circonstances du COVID-19. La continuité pour ce festival très important pour la production nationale est ainsi garantie ».
Féminisation
La profession du cinéma est connue pour être un bastion du sexisme. Cette année, douze documentaires et films de fiction récents ont été nominés au «Prix de Soleure», dont six premières et un premier film. Pour la première fois dans l’histoire de ce prix, les réalisatrices en lice étaient majoritaires. Le programme spécial « Histoires du cinéma suisse » a été placé entièrement sous les auspices de sept réalisatrices de films suisses, Lucienne Lanaz, Gertrud Pinkus, Tula Roy, Marlies Graf-Dätwyler († 2020), Isa Hesse-Rabinovitch († 2003), June Kovach († 2010) et Carole Roussopoulos († 2009). Ces réalisatrices ont fait l’histoire du cinéma suisse au cours de la décennie qui a suivi l’introduction du droit de vote des femmes sur le plan fédéral.
La section « Panorama Suisse » s’est déployé autour de 170 films, parmi lesquels on trouve 69 longs métrages. La proportion de femmes réalisatrices est de 43,5 %. Deux documentaires ont évoqué le 50e anniversaire de l’introduction du suffrage féminin : « De la cuisine au parlement: Edition 2021» de Stéphane Goël et «Das katholische Korsett – oder der mühevolle Weg zum Frauenstimmrecht» de Beat Bieri et Jörg Huwyler. Matthias Affolter et Fabian Chiquet ont font l’éloge de la chimiste bernoise Gertrud Woker en retraçant son parcours dans «Die Pazifistin».
Différentes formes d’amour
Le Prix de Soleure a été remis à Mare d’Andrea Staka. « Ce film emprunte aux codes du documentaire. Il est admirable dans son scénario, son casting, ses dialogues et sa direction d’acteur. L’œuvre allie précision et minimalisme, efficacité et justesse », souligne Anne Bisang, directrice du Théâtre populaire romand de la Chaux-de-Fonds et membre du jury. Beyto de Gitta Gsell (Prix du Public) et Schwesterlein de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond ont en commun avec Mare de s’intéresser aux liens affectifs, amoureux et conjugaux. Dans ces trois récits, la famille représente un carcan pour l’individu. Attirée par un autre homme que son mari qui vient d’emménager dans le voisinage et bien qu’attachée à ses enfants, son rôle de mère plonge Mare dans l’ambivalence ; Beyto, un jeune turc de 19 ans est forcé pas ses parents d’épouser Seher, son amie d’enfance turque alors qu’il est épris de son ami suisse Mike. Pour ses géniteurs, son homosexualité est un tabou impossible à briser. Enfin, Lisa, auteure de théâtre, est confrontée à la grave maladie de son frère jumeau comédien. Elle cherche à valoriser le travail de ce dernier. Son ex-compagnon, directeur du théâtre, ne la soutient pas. Son mari n’est pas beaucoup plus généreux. Il pense avant tout à sa propre carrière. La passion pour la création unit le frère et la sœur dans l’épreuve. La relation entre les deux personnages aurait pu être explorée plus en profondeur. Cependant, on doit relever l’originalité du sujet et la prouesse d’un film tourné entièrement allemand.
Une jeunesse expressive
La famille peut être source de vie, d’amour et de joie. Dans Von Fischen und Menschen de Stefanie Klemm (Prix Opera Prima), elle est malheureusement aussi dévastée par un coup du sort. Et le film navigue encore sur d’autres flots incertains. Rompre avec le cocon familial, vivre l’exaltation de la fête, explorer des liens affectifs nouveaux et découvrir la sexualité. Faire partager les émotions intenses inhérentes à ces étapes – universelles – de la vie de la jeunesse constitue un projet cinématographique exaltant pour plusieurs cinéastes programmés durant cette édition. La caméra des réalisateurs Daniel Best Arias (Das ende der Unschuld) et Iliana Estañol (Lovecut) parvient à capturer ces corps et ces esprits jeunes, mus par de grands désirs, mais rattrapés par de lourdes contrariétés. Avec L’acqua, l’insegna la sete, Valerio Jalongo nous plonge quant à lui dans le journal-vidéo de l’enseignant retraité J.C. Lopez. Basé sur la pédagogie spontanéiste, inspirée par la poésie, l’enseignement de ce professeur a marqué ses élèves. Le film retrouve ces adolescents quelques années après les avoir suivi dans le chahut d’un établissement scolaire d’un quartier défavorisé de Rome. Même s’ils sont confrontés aux importants défis de l’entrée dans l’âge adulte, les jeunes interviewés ont été enrichis par cet épisode de vie et apprentissage.
Filmer les migrant.e.s
De nombreux documentaires et films de fiction évoquent cette année avec finesse différents enjeux – politiques, sociaux et humains – liés aux phénomènes migratoires. A media voz de Heidi Hassan et Patricia Pérez est un émouvant documentaire autobiographique réalisé sur la base d’un échange de lettres entre ces deux cinéastes cubaines. Une des deux amies est basée à Genève. Elles ne se sont pas revues depuis quinze ans. Beyto de Gitta Gsell raconte le récit fictif d’un amour impossible entre trois jeunes personnes, deux hommes et une femme, entre la Suisse et la Turquie. Ces deux réalisations soulignent le coût émotionnel occasionné pour les migrant.e.s et leurs familles par la séparation avec leurs proches restés dans le pays d’origine. Ils mettent aussi en évidence les chocs dus à l’adaptation à un nouvel environnement culturel. Dans Spagat de Christian Johannes Koch, Marina, une enseignante d’une école de campagne d’une quarantaine d’années vit une vie tranquille avec son mari et sa fille. Elle entretient une liaison secrète et compliquée avec Artem, le père d’une de ses élèves, Ulyana. Car le père et la fille vivent en Suisse sans permis de séjour. Le film illustre de façon éloquente les risques médicaux et psycho-sociaux liés à la clandestinité en contexte de migration. Miraggio de Nina Stefanka documente l’errance interminable de migrant.e.s africains à Rome et en Calabre. Il dénonce la précarité, extrême, provoquée par le système bureaucratique de l’asile, ses insuffisances et ses contradictions. Des constats similaires sont effectués Dans Réveil sur mars de Dea Gjinovci. Ici, les deux filles aînées d’une famille du Kossovo exilée en Suède ont sombré dans le coma. Infructueuse, la procédure d’asile a aggravé la détresse psychique insondable de ces migrantes traumatisées par les atrocités vécues pendant la guerre. Enfin, dans Wanda mein Wunder de Bettina Oberli, Wanda s’occupe jour et nuit de Josef, un retraité installé dans la villa familiale au bord du lac. Elle se retrouve bientôt enceinte. Les problèmes personnels des membres de la dynastie Wegmeister Gloor sont nombreux. Dans le registre de la tragicomédie – et agrémentés par plusieurs scènes déjantées et jubilatoires – ce film décrypte de façon subtile les rapports de pouvoir et de dépendance dans le secteur de l’économie domestique.
Visionnement sur:
https://www.journeesdesoleure.ch/
https://www.filmo.ch/fr/Aktuell.html