Réalisé par la cinéaste suisso-albanaise Dea Gjinovci, Réveil sur Mars pourrait être un conte naviguant entre documentaire et fiction sorti des studios Pixar. Garçonnet Rom vivant à Horndal, petit bourg suédois, Furkan a fui le Kosovo avec sa famille qui y subissait des agressions de la part de voisins voulant s’accaparer leurs terres.
Passionné par l’astronomie et rêvant d’être astronaute, il veut bâtir une navette spatiale. Pour échapper à la demande d’asile refusée à sa famille et à l’énigmatique maladie touchant ses sœurs, le «syndrome de résignation». Elles sont atteintes d’une forme de catatonie. D’après nombre de psychologues, «des enfants peuvent intérioriser les traumatismes vécus par des proches. Chez Djeneta et Ibadeta, leur respiration, est la seule traduction du fait qu’elles sont encore en vie», avance en entretien la réalisatrice âgée de 27 ans.
Drame et merveilleux
Le pays scandinave a accueilli un grand nombre de migrants et réfugiés. Mais dès 2018, sa politique d’immigration se fait plus restrictive sous les effets conjugués de l’extrême droite et de la politique erratique de l’Union Européenne en matière d’asile. La situation se tend en 2019, les communes n’ayant plus guère les capacités à les loger. Un état de fait que la pandémie aggrave, les populations immigrées étant majoritaires parmi les victimes du coronavirus.
«Comme réfugié, êtes souvent investi du statut de victime. Ceci dans l’attente d’une décision participant d’une autorité et d’un système administratif que vous peinez à comprendre.» Si la réalisation piste le désespoir de vies contrariées, elle n’en oublie pas le fantastique enfantin. En témoigne la séquence en forêt dévoilant un vaisseau spatial lumineux et artisanal.
Face à ce qu’il ne peut saisir et guérir, Furkan transforme une situation impossible en un projet fou d’odyssée intersidérale afin de sauver ses sœurs que scénarise avec pudeur et bonheur la cinéaste. Tout semble ici filmer à hauteur de regard enfantin, empreint de sensibilité résiliente.
Entourées
Durant ces trois à cinq ans passés dans le coma, les fillettes «n’ont jamais eu à souffrir d’escarres ou lésions liés à leur alitement.» Comment? Grâce à des parents incroyablement dévoués les nourrissant par sonde. Secondés d’une équipe médicale meuve et stimule périodiquement les alitées. L’inconscience somatique des alitées devient l’unique raison de vivre, singulièrement pour la mère. Et une forme de sursis à leur renvoi.
A leur réveil, l’une recouvre vite la santé, alors que l’autre connait des troubles de la parole. «Un médecin de l’Hôpital parisien Bichat m’a raconté ce retournement corporel à effectuer sur les patients sous respirateur victimes du Covid-19», se souvient la réalisatrice née à Genève. Après des études (économie et anthropologie) à Londres, elle est notamment journaliste pour plusieurs médias suisses et anglo-saxons.
Histoire universelle
Le film s’ouvre sur la respiration des soeurs dans leur coma paradoxal sous une lumière rouge évoquant tour à tour la planète Mars ou l’habitacle d’un vaisseau. Par la contemplation de vastes étendues enneigées et les expéditions de Furkan, rêvant réellement d’être astronaute, la réalisation s’émancipe du confinement en huis clos. D’où la tentative de dessiner «un récit universel mettant en lumière des mécanismes oppressifs et discriminatoires que l’on peut retrouver sous d’autres latitudes.»
Dans la manière de suivre comment enfants et famille parviennent à faire preuve d’une incroyable persistance dans la résistance, alternant replis sur soi et échappées belles en rêvant tout haut, Réveil sur Mars anticipe prodigieusement sur ce que peut vivre au quotidien une part de la planète depuis un an.
Bertrand Tappolet
Réveil sur Mars. A visionner jusqu’au 28 janvier sur www.journeesdesoleure.ch. Puis sur plateformes et/ou en salles à une date à déterminer.