Si dans l’inconscient collectif, une énergie renouvelable – produite grâce aux éoliennes et panneaux solaires notamment – est forcément verte, qu’en est-il dans les faits? Car pour qu’une énergie soit la plus «propre» possible, son cycle de vie entier doit être pris en compte. De l’extraction des matières premières nécessaires à sa production à leur recyclage. La Face cachée des énergies vertes, documentaire diffusé sur d’Arte, suit les aléas ravageurs pour les ressources naturelles et les écosystèmes d’une transition estampillée développement durable.
Pour le coréalisateur du film, le cinéaste Jean-Louis Perez, il existe «un discours dominant faisant de la transition énergétique une solution miracle pour dépolluer la planète. Elle est portée par les industriels notamment. La réalité, elle, se révèle plus contrastée. Si cette transition peut contribuer à rendre les centres-villes bas carbone, on la salue. Mais si c’est pour délocaliser la pollution alors que les émissions de gaz à effets de serre ne diminuent pas globalement, la critique s’installe.»
Un sujet ambigu
Aux yeux de Marie Chéron, responsable «mobilité et plaidoyer» à la Fondation Nicolas Hulot, le film ne traiterait pas de la transition énergétique. En fait, l’opus «dresse un constat sur l’impasse de notre système économique actuel, mondialisé, extractiviste, dépendant fortement des ressources fossiles et profondément inégalitaire. Notre économie s’est engagée à une course effrénée au green tech». Les décideurs politiques s’y engouffrent.
«Sans en mesurer les conséquences et au nom de la transition énergétique, alors même que cette économie est aveugle sur les changements climatiques». Or la transition écologique n’est pas ce mouvement. Mais une «transformation en profondeur de l’économie, de la façon dont nous organisons nos activités et modes de vie. Dans cette transition, la technologie est un moyen et non une fin, et la sobriété centrale», réduction de la consommation en tête. (France Inter, 7.12.20).
Nos villes vertes, leurs morts
La thèse du documentaire? En voulant s’affranchir des énergies fossiles, c’est une nouvelle addiction aux effets délétères qui étend son empire. Celle aux métaux rares: Cobalt, néodium, graphite, palladium, terres rares… L’exploitation de ces ressources fait l’objet sur terre, mer et déjà dans l’espace d’une guerre commerciale totale (extraction, raffinage), minant les écosystèmes et les vies . La Norvège est schizophrène pour Greenpeace, comme 7e exportateur de brut dont la vente finance sa transition énergétique.
Pour une panoplie de véhicules électriques, panneaux solaires, éoliennes, smartphones, ordinateurs et objets connectés, c’est l’apocalypse environnementale imposée en Chine – poussières toxiques sur régions agricoles, cours d’eaux et nappes phréatiques polluées au cyanure. Mais aussi au Chili. On y meurt de cancers dus à l’industrie extractive.
Le temps presse
Face au changement climatique, notre pays s’est engagé dans la transition énergétique: loi sur le CO2 dans le sillage des accords de Paris, démantèlement du parc nucléaire, promotion de la mobilité douce, recyclage, etc. La Conseillère nationale Verte libérale Isabelle Chevalley constate: «La Suisse est sur le bon chemin mais cela prend encore trop de temps. La Confédération veut être à zéro CO2 en 2050. La neutralité carbone doit être atteinte pour 2040, «si l’on veut éviter des catastrophes climatiques.» C’est aussi l’avis du Conseiller national Parti Suisse du Travail, Denis de la Reussille. Il insiste sur les «efforts pédagogiques à mener sur la crise climatique pour favoriser une prise de conscience avec des actions pérennes.»
Partant du Salon de l’auto genevois, le documentaire s’étend sur le cas de la voiture électrique promue au rang de «mascotte» de cette révolution technologique. «Il y a autant de terres rares dans une voiture conventionnelle que dans une voiture électrique», affirme Isabelle Chevalley. «Si je prends les éoliennes, beaucoup de fabricants se passent aujourd’hui de néodyme car ils ne veulent pas être dépendants de la Chine qui détient pratiquement un monopole sur les terres rares. Enfin, les appareils électroniques (ordinateurs, téléviseurs, téléphones portables…) contiennent aussi des terres rares donc finalement il faut remettre en question toute notre société», souligne la Conseillère nationale.
Cimetières d’éoliennes
Le film s’alarme en Allemagne de cimetières à ciel ouvert d’éoliennes abandonnées et obsolètes. Il affirme leur recyclage complet onéreux et difficulteux, voire impossible. Pas de quoi impressionner la Verte libérale Isabelle Chevalley. Le recyclage est une passion pour laquelle elle s’engage en Afrique aussi. «En fin de vie, une éolienne est souvent vendue et réinstallée pour des projets énergétiques dans des régions moins développées (Afrique, Maghreb, Europe de l’Est). Lorsque cela n’est pas possible, il faut faire appel aux filières de recyclage et de valorisation qui sont déjà bien établies.»
Denis de la Reussille, lui, précise: «Dans les cantons de Neuchâtel et du Jura, l’installation d’éoliennes suscite de fortes oppositions. Mais surtout pour des raisons de nuisances sonores et impacts aux paysages, faune et cadres de vie.» Aux yeux du Neuchâtelois, les éoliennes restent un «élément important pour diversifier la production énergétique.»Pour leur recyclage, l’enjeu se cristallise sur les pâles selon selon la politicienne vaudoise farouchement antinucléaire. Elles renferment «des matériaux composites thermoplastiques, plus difficilement valorisables. Actuellement elles sont brûlées en cimenterie pour remplacer du charbon.»
Sobriété, mais pour qui?
Le documentaire se clôt sur un éloge de la sobriété résiliente en termes énergétiques. «C’est le monde du commerce qui mène la transition énergétique. Elle doit être basée sur la sobriété et la décroissance», entend-on. Isabelle Chevalley s’interroge. On parle «des pays occidentaux mais que dire de l’Afrique où plus de 50% de la population n’a pas accès à l’électricité. Faut-il leur bloquer l’accès à l’énergie? Peut-on leur parler de décroissance?».
L’un des théoriciens de la décroissance, Serge Latouche, s’exprimant sur les pays du Sud, avance souhaitable que ceux ayant une «faible empreinte écologique accroissent certaines productions pour le bien de leur population, mais ils doivent éviter de tomber dans la machine infernale du cycle de la production infinie.» (Le Monde 13.12.2018).
La face cachée des énergies vertes. Visible sur arte.fr
Guillaume Pitron, La Guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, Les Liens qui Libèrent, 2018