Si le peuple genevois accepte cette modification, la loi sur les droits politiques sera adaptée en conséquence. Cyril Mizrahi, avocat à Inclusion Handicap et député socialiste au Grand Conseil genevois, membre de la commission des droits politiques, souligne que la votation du 29 novembre représente une première en Suisse. « Genève était l’un des rares cantons qui disposait déjà d’une règlementation plus différenciée. Ainsi, le canton a décidé de supprimer la disposition de la constitution cantonale selon laquelle les droits politiques des personnes « durablement incapables de discernement » peuvent être « suspendus ». Les personnes privées de leurs droits politiques les recouvreront au plan cantonal et communal. En outre, les personnes qui sont véritablement dans l’incapacité de se forger une opinion politique (ainsi des personnes dans le coma par exemple) continueront de ne pas exercer leurs droits politiques, et d’éventuels abus de tiers continueront d’être sanctionnés selon le droit pénal ordinaire ».
Une obligation juridique internationale
Au niveau suisse et dans presque tous les cantons, les personnes sous curatelle de portée générale sont aujourd’hui automatiquement exclues du droit de vote et d’éligibilité. Cette mesure vise surtout les citoyennes et citoyens avec un handicap mental ou psychique. D’emblée, ces personnes sont de la sorte privée de leurs droits démocratiques. Or, si une personne ne peut gérer seule sa situation administrative ou financière, cela ne signifie pas forcément qu’elle n’est pas capable de se forger et d’exprimer une opinion politique. Pour Thierry Tanquerel, professeur honoraire de droit public à l’Université de Genève, la suppression de la privation des droits politiques aux personnes handicapées se justifie pour des raisons d’inclusion et de suffrage universel. Cependant, il s’agit également de se conformer à une obligation juridique car la Suisse est liée depuis 2014 par la Convention de l’ONU sur le droit des personnes handicapées, entrée en vigueur après la nouvelle constitution cantonale. Celle-ci prévoit que les Etats parties s’engagent à ce que les personnes handicapées puissent effectivement pleinement participer à la vie politique et publique, sur la base de l’égalité avec les autres. « Le droit de vote est un droit exclusivement personnel. Quand on prive quelqu’un de son droit de vote, on le prive absolument de ce droit, on ne fait pas que le limiter dans l’exercice de ce droit. On en fait pour ainsi dire un.e citoyen.ne de seconde zone, et il s’agit de ce point de vue d’une atteinte à sa dignité. En matière de droits politiques, on ne peut pas utiliser les concepts de rationnalité et de discernement comme en droit privé. Pour un vote sur tel ou tel objet ou pour tel ou tel parti, l‘émotion peut jouer un rôle important. Dès lors, il n’y a pas de critère valable pour déterminer la privation de droit politique », souligne l’expert.
Selon Marjorie de Chastonay, députée Verte au Grand Conseil et présidente de la Fédération genevoise d’associations de personnes handicapées et de leurs proches (FEGAPH), « les associations ont souhaité une grande mobilisation pour ce vote. Il s’agit d’enjeux sociaux cruciaux. Disposer des droits politiques permet de participer à la vie politique et la vie publique : cela permet d’élire, de voter, de signer des initiatives, mais aussi d’être élu.e. Cela donne un sentiment de citoyenneté ».
La décision de Genève de ne plus exclure du droit de vote et d’élegibilité les personnes handicapées ou âgées pourrait avoir une incidence importante en encourageant d’autres cantons à suivre la voie. Comme le souligne Shirin Hatam, avocate à Pro Mente Sana Romandie, des personnes soumises à des curatelles de portée générale se plaignent de se voir priver de droits politiques. Elles veulent voir la situation changer. « Des motions poursuivant des buts similaires ont été déposées par les député.e.s Hadrien Buclin dans le canton de Vaud, Julien Delèze et Barbara Lanthemann dans le canton du Valais et Florence Natter dans le canton de Neuchâtel ».
Consensus large
Jean-Marc Guinchard, secrétaire général de l’Association genevoise des établissements médico-sociaux et député du Parti démocrate-chrétien, souligne pour sa part l’importance de ce vote pour certain.e.s résident.e.s âgées des EMS. Malgré leur perte d’autonomie, les personnes privées de leurs droits politiques sont capables de se faire un avis de votation ou d’élection. Hors période COVID-19, le débat familial, y compris politique, a bel et bien lieu dans les EMS. Et les résident.e.s sont capables de se faire un avis, à part dans les cas d’Alzeihmer lourds. Par ailleurs, le risque de fraude est surestimé. Le Service des votations exerce une surveillance et en EMS le risque n’est pas plus élevé que dans le cadre familial normal ». Pour Céline van Till, athlète paralympique et porte-parole de personnes en situation de handicap, « la différence fait peur. Les nombreuses appréhensions par rapport au handicap sont une preuve de méconnaissance. La privation de liberté que les personnes en situation de handicap ou âgées ressentent n’est dans la plupart des cas pas justifiée. La nouvelle loi est une façon de pallier au manque de tolérance de la population pour juger objectivement des capacités des handicapés ». Pierre Conne, député du Parti libéral-radical en faveur du projet de loi, explique quant à lui que la liberté de vote a été laissée aux membres de son parti. Cette liberté permet de souligner l’importance du projet de loi en laissant l’électeur s’intéresser à cet objet et se faire soi-même un avis. Les peurs de captation de vote avancées par les opposants ne sont pas rationnelles, mais sont respectables, selon lui. En tant que médecin travaillant à la Fondation Foyer Handicap, il a remarqué l’intérêt de ses délégués pour ce sujet. Les résidents pourront désormais s’investir dans l’espace d’un débat citoyen non pas limité aux questions de la fondation, mais peut-être aussi portant sur les autres problèmes de la collectivité, se réjouit-il.