Emblème bien connu des Neuchâtelois, la Place Pury – et plus particulièrement la statue de l’homme lui ayant donné son nom – fait aujourd’hui débat. Celui-ci avait en effet légué sa large fortune à la ville en 1786, et son don permit notamment de financer un hôpital, un hôtel de ville, plusieurs écoles ainsi que le détournement du Seyon. Mais ce sont les raisons de sa fortune et le manque d’information à l’égard du personnage qui dérangent.
Engagé tout d’abord dans la South Sea Company (SSC), qui pratique le commerce d’esclaves et est largement présente dans les ports africains, américains et européens, David de Pury fonde ensuite une compagnie de négoce de diamants et de bois précieux en provenance du Brésil. Selon Izabel Barros, historienne et responsable de projets au Brésil à la fondation Cooperaxion, «l’esclavage au Brésil était une institution sociale totale (…). Avoir des liens commerciaux avec ce pays impliquait forcément exploiter la main-d’œuvre africaine. Entre 1757 et 1784, la société Purry, Mellish et Devismes détenait le monopole de bois (en provenance du) Brésil. L’extraction en a été longtemps assurée par des indigènes, qui furent remplacés progressivement par des esclaves noirs».
Lorsque l’ignorance règne
C’est dans le cadre de cette histoire mal connue – ou tout au moins peu mise en avant – que le Collectif pour la mémoire a mis en ligne une pétition pour le retrait de la statue de De Pury. En remplacement, le Collectif demande une plaque en hommage «à toutes les personnes ayant subi et subissant encore aujourd’hui le racisme, et la suprématie blanche», afin de mener une démarche de mémoire.
Si cette initiative est souvent saluée, la méthode ne fait pas l’unanimité. Des alternatives sont ainsi proposées dans les commentaires de la pétition en ligne: garder la statue mais afficher un écriteau clair sur les activités de De Pury, l’exposer dans un musée, remplacer le socle actuel par un socle représentant les esclaves…
D’autre part, le débat se crée autour de la qualification d’esclavagiste: pour Bouda Etemad, professeur à l’Université de Lausanne et coauteur du livre La Suisse et l’esclavage des Noirs, «il y avait deux types d’esclavagistes: les négriers, qui faisaient du trafic d’êtres humains en Afrique et en transportant les esclaves à travers l’océan Atlantique. Et il y avait les propriétaires terriens, en Amérique, qui faisaient travailler des esclaves. David de Pury n’était ni l’un, ni l’autre».
Il est cependant indéniable que le commerce de David de Pury découle du travail des esclaves, et le fait qu’il se retrouve «au bout de la chaîne» ne l’en rend pas moins responsable. Il est aussi intéressant de prendre en compte l’interview par Arcinfo de Nicolas de Pury, descendant (indirect) du négociant et conseiller général Vert à Neuchâtel. Celui-ci y affirme qu’il n’est «pas favorable à un déboulonnement» et qu’il souhaite «des recherches historiques encore plus poussées…». Dans le même temps, il admet ne pas se sentir touché par le débat qui «ressurgit tous les quatre-cinq ans» et estime «qu’il n’y avait pas raison de perdre son temps avec ce qui était considéré comme un non-
sujet» lorsqu’on lui demande si le sujet a été discuté dans sa famille.
D’une part, Nicolas de Pury demande donc des recherches supplémentaires, alors que des faits avérés démontrent l’implication de son ancêtre dans le commerce triangulaire, et d’autre part, il se désintéresse de la cause. Ce type de réaction révèle à quel point le racisme est un problème systémique dont la classe dominante se déresponsabilise. Il est pourtant nécessaire de faire sortir notre histoire du placard, de la comprendre et de l’enseigner afin d’agir sur ses conséquences.
Le contexte de l’époque
Il est évident que De Pury n’est pas le seul à avoir fait fortune sur le dos des esclaves. A Neuchâtel, nombreuses sont les figures de la bourgeoisie qui en ont bénéficié, laissant au passage leurs noms à des institutions, des rues ou des places de la ville. On peut notamment citer Louis Agassiz, scientifique adepte des théories raciales, dont la place a récemment été rebaptisée Tilo-Frey, en mémoire d’une des premières femmes, de couleur de surcroît, élue au Parle- ment fédéral en 1971.
De manière générale, le commerce triangulaire était favorisé dans le contexte de l’époque et nombreux sont les bourgeois, commerçants et propriétaires terriens américains et européens dont la fortune en était issue. En Suisse, apprendre à connaître l’histoire de notre pays est un long chemin; peu de nos cours sont focalisés sur notre pays, et souvent aucun sur nos régions. Il nous faudra remettre au centre ces problématiques au sein de l’école, afin d’aiguiser les esprits, de comprendre notre position dans l’histoire du monde et de guider le chemin vers une reconstruction réellement sociale et égalitaire.
Pour signer la pétition: http://chng.it/PXJPH8Mbs2