La Nativité et le ventre des femmes

La chronique féministe • En ces temps où tout brille, où l’on s’apprête à fêter Noël, interrogeons-nous sur son origine et sa signification.

La virginité de Marie fut affirmée en 553 par le deuxième Concile de Constantinople, qui déclara Marie «vierge perpétuelle. (Web gallery)

En ces temps où tout brille, où l’on s’apprête à fêter Noël, interrogeons-nous sur son origine et sa signification. Cette fête chrétienne était un moment important de mon enfance, je participais à toutes celles qui avaient lieu, dans la paroisse, dans l’entreprise de mon père, à l’école des Asters, où se retrouvaient enfants et parents du quartier en présence de Chalande, en classe, chez mes parents, puis à La Neuveville chez ma grand-mère maternelle, à Neuchâtel, chez mes grands-parents paternels puis et chez mon oncle et ma tante… une fois, j’en ai dénombré quinze!

J’apprenais Hérode, le recensement, Bethléem, Joseph et Marie, l’étable, l’âne et le bœuf, l’étoile qui guidait bergers et rois mages, j’admirais les crèches et les sapins décorés, j’ouvrais mes cadeaux, je m’exclamais, j’étais heureuse.  Il fallut bien des années pour que j’apprenne que tout était faux!

D’après Claude Mimouni, à cette époque, on ne savait rien de précis sur les origines de Jésus. Cette lacune a rendu possible une grande diversité dans la représentation de sa conception et de sa naissance, dont les apocryphes chrétiens ont gardé la trace. Puis l’orthodoxie unifia ces traditions par la canonisation des quatre évangiles du Nouveau Testament. Lesquels furent écrits à la fin des années 60 pour Marc, entre 80 et 90 pour Matthieu et Luc, et entre 90 et 100 pour Jean. Aucun n’a connu Jésus. Ils relatent donc des récits qui leur ont été transmis, des décennies après les faits.

Quand on sait les divergences des témoignages après un accident, on mesure à quel point ces récits ne sont pas fiables. Mais ils représentent un acte de foi, sur lequel est fondé le christianisme. Selon les historiens, s’il est communément admis que Jésus est un juif galiléen ,dont la famille est originaire de Nazareth, le lieu de sa naissance n’est pas connu avec certitude.

Les récits des Evangiles de l’enfance relèvent surtout de théologoumènes (affirmations théologiques présentées dans les récits fictifs bibliques comme des faits historiques) de la part des auteurs bibliques, qui ont plus une visée doctrinale qu’un souci historique. Ils auraient choisi Bethléem parce que c’est la ville du roi David, de la lignée duquel le Messie attendu par les juifs doit descendre, selon la prophétie de Michée. Le récit de la crèche, de l’annonce aux bergers, de l’adoration des bergers et des mages ne doit pas faire l’objet d’une lecture littéraliste, mais appartient au registre littéraire du merveilleux et à la théologie métaphorique.

L’année de sa naissance n’est pas non plus connue précisément. Les Evangiles selon Matthieu et selon Luc la situent sous le règne d’Hérode Ier le Grand, dont le long règne s’achève en 4 avant notre ère. L’estimation généralement retenue par les historiens actuels va de 7 à 5… avant J.-C.!  Aucun texte dans les évangiles ne précise la période de l’année où a eu lieu cet événement. C’est le pape Libère qui décide, en 354, que Noël sera fêté le 25 décembre et codifie les premières célébrations, pour pouvoir assimiler les fêtes populaires et païennes, qui se tiennent autour du solstice d’hiver. Cette nouvelle date est rapidement adoptée en Orient (un sermon de saint Jean Chrysostome l’atteste) et, depuis la fin du IVe siècle, elle supplante la date antique du 6 janvier et marque l’année origine du calendrier grégorien, qui fait aujourd’hui référence dans la majeure partie du monde.

Ce qui m’a toujours agacée, dans cette histoire, c’est la prétendue virginité de Marie, qui défie la raison. On peut la considérer comme un autre théologoumène. Elle fut affirmée en 553 par le deuxième Concile de Constantinople, qui déclara Marie «vierge perpétuelle», c’est-à-dire qu’elle n’eut jamais de relations sexuelles avec Joseph. Ce mythe fut érigé en 1854 par le pape Pie IX en «Immaculée Conception», c’est-à-dire «sans tache», donc exempte du «péché originel» commis par Eve, la pécheresse qui incita Adam à partager le fruit défendu de l’arbre de la connaissance.

Je trouve terrible de considérer l’union d’une femme et d’un homme comme un «péché», voire une «souillure». Le Lévitique (AT) dit que lorsqu’une femme met un fils au monde, elle est «impure» pendant 7 jours, et pendant deux semaines s’il s’agit d’une fille. Elle doit se purifier 33 jours après la naissance d’un fils et 66 jours après celle d’une fille…

On est sidéré de constater à quel point la Bible est misogyne. Cette vision a pesé lourdement (et pèse encore, hélas) sur les femmes. Elle se révèle dans des expressions populaires: «Toutes des putes, sauf ma mère», Eve opposée à Marie, donc, mais aussi «fils de pute», l’insulte suprême, bien qu’en contradiction avec ce qui précède.  Depuis le début et jusqu’à aujourd’hui, l’Eglise catholique a des problèmes avec la sexualité, synonyme de péché, qui n’est tolérée que dans le cadre du mariage: il faut bien que l’espèce se perpétue!

L’obligation de célibat des prêtres date de 1139 (second concile de Latran), avec les dérives que l’on sait. Or, la sexualité consentie entre deux êtres est le plus beau cadeau que la Nature nous ait donné. Marie pouvait bien mettre au monde un sauveur, mais sans avoir connu le plaisir. Ce plaisir si longtemps nié aux femmes. Pendant longtemps, les organes génitaux féminins n’intéressaient pas la médecine, et la forme du clitoris n’a été découverte… qu’en 1998! Un organe exclusivement dédié au plaisir, qui n’a pas de pendant masculin, et que mutilent de nombreux pays d’Afrique, du Sénégal à la Somalie, de l’Egypte à la Tanzanie. 133 millions de femmes et de filles vivent avec une mutilation génitale.

Dès que les mâles ont compris leur rôle dans la procréation, ils ont voulu contrôler le sexe et le ventre des femmes. La dépénalisation de l’avortement ne fut admise par les pays occidentaux qu’à la fin du XXe siècle. Mais ce droit est remis en cause de façon récurrente.  Donald Trump veut limiter le droit à l’avortement, qui devient un crime dans l’Etat de l’Alabama depuis mai 2019, même en cas de viol ou d’inceste. Il est menacé en Pologne et en Hongrie. En Italie, où l’IVG est légale depuis 1978, les médecins sont nombreux, notamment dans le sud du pays, à faire valoir la clause d’objection de conscience, rendant très difficile le parcours des femmes souhaitant avorter. Le nombre d’IVG est tombé à 85’000 en 2017, contre 230’000 dans les années 1980.

Le patriarcat ne supporte pas que les femmes choisissent pleinement leur sexualité. La virginité mythifiée, les mutilations sexuelles, l’interdiction de l’IVG sont les trois piliers de cette oppression, ayant, pour corollaire, les violences envers les femmes.  Joyeux Noël quand même!