En 2015, alors que plus d’un million d’exilés syriens rejoignaient le Vieux Continent au péril de leur vie, l’UDC surfait sur la vague de la peur des requérants d’asile et de la main-d’œuvre étrangère. Elle remportait 29.4% (+2.8) des suffrages lors des élections fédérales du 18 octobre, soit le score le plus élevé jamais enregistré par un parti politique depuis 1919, date de l’introduction du scrutin à la proportionnelle. Le PLR renouait quant à lui avec une légère croissance, passant à 16.4% des voix (+1.3), dans un contexte d’abandon du taux plancher entre le franc et l’euro et de renégociations difficiles des accords bilatéraux.
La gauche perdait quant à elle globalement des voix, avec un PS qui restait stable à 18.8% (+0.1), mais un recul des Verts à 7.1% (-1.3). Enfin, le populaire maire du Locle, Denis de la Reussille, reconquérait le siège du POP après le départ de Josef Zysiadis en 2011, au détriment du siège des Verts neuchâtelois. Il devenait ainsi le seul représentant de la gauche de la gauche sous la coupole fédérale, siégeant avec le groupe des Verts.
Celui-ci rappelle le maigre bilan de la législature en matière d’avancées sociales et environnementales, en raison d’un rapport de force particulièrement défavorable à la gauche. «Au Conseil national, l’UDC, le PLR, les deux élus de la LEGA et l’élu du MCG détenaient la majorité à eux seuls. Avec pour effet de tirer le PLR encore plus à droite. Paradoxalement, nous avons pu bénéficier dans certains dossiers de l’intervention du Conseil des Etats, pourtant historiquement considéré comme la «Chambre des conservateurs», afin de corriger les excès du Conseil national». Denis de la Reussille pointe en particulier les échecs en matière de contrôle de l’égalité salariale entre femmes et hommes, la limitation des moyens dans les domaines de l’aide au développement ou encore la paralysie au plan de la politique climatique.
Mais un (léger) vent de gauche devrait souffler sous la coupole fédérale après les élections du 20 octobre prochain, en tout cas si l’on se fie aux sondages. En effet, les Verts pourraient pour la première fois de l’histoire dépasser les 10% (10.1%) de votes (+3) selon le dernier baromètre de la SSR, et talonnent le PDC avec 10.6% (-1.0). Si cette tendance devait se confirmer sur le long terme, les Verts pourraient même revendiquer un siège au Conseil fédéral et remettre en cause la formule magique (2 UDC, 2 PS, 2 PLR, 1 PDC). Les Verts libéraux bénéficieraient également de cette sensibilisation de la population aux thématiques climatiques, avec 6.4% des intentions de vote (+1.8).
Droite toujours majoritaire?
Ces projections viendraient confirmer une tendance observée ces derniers mois lors de différents scrutins cantonaux à Zurich, Lucerne ou encore Bâle-Campagne, où Verts et Verts’libéraux ont progressé dans les parlements cantonaux, au détriment de l’UDC, et dans une moindre mesure du PLR. A Zurich, les Verts ont même ravi le deuxième siège du PLR à l’exécutif.
Cette poussée des Verts s’inscrit dans un contexte de prise de conscience de l’urgence climatique au niveau mondial, sous l’impulsion de la collégienne suédoise Greta Thunberg, alors que des dizaines de milliers de personnes ont manifesté en Suisse entre janvier et avril 2019. Elle sanctionne aussi l’attitude de l’UDC et du PLR, qui en décembre 2018 ont torpillé le texte de révision de la Loi sur le CO2 proposée par le Conseil fédéral. «Cette loi devait permettre à la suisse de respecter les engagements de l’Accord de Paris en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, rappelle Denis de la Reussille. Mais la gauche a refusé de la soutenir, car le camp bourgeois l’a vidée de son sens».
Le PS, en légère progression, conserverait quant à lui sa place de deuxième parti de Suisse avec 19.1% des suffrages (+0.3). Le PS placera la question climatique au cœur de sa campagne, demandant la fin des investissements dans le pétrole, le gaz et le charbon d’ici à 2025 et soutenant l’initiative «pour les glaciers», qui vise à interdire les énergies fossiles en Suisse d’ici à 2050. Il se battra également sur les coûts de la santé, avec son Initiative pour l’allégement des primes maladie, qui exige qu’aucun ménage en Suisse ne consacre plus de 10% de son revenu disponible aux primes d’assurance maladie.
Traditionnellement europhile, le PS sera mis en difficulté par les négociations au sujet de l’accord-cadre. S’il y est favorable sur le principe, il s’oppose à tout affaiblissement de la protection des salaires suisses dans le cadre de la libre-circulation des personnes. Fin juin, le PS saluait la décision du Conseil national visant à charger le Conseil fédéral de mener de nouvelles discussions avec l’Union européenne. De nombreuses questions subsistent quant à l’issue des négociations, et en particulier sur les concessions que le PS et son ténor Pierre-Yves Maillard, nouveau président de l’Union syndicale suisse, seront prêts à concéder.
Malgré cette progression attendue de la gauche, la droite serait toujours majoritaire d’après le dernier sondage SSR. Ainsi, l’UDC resterait la première force du pays avec 26.5% des intentions de vote, mais perdrait trois points par rapport à 2015. Prise de cours sur les questions climatiques et féministes, elle tente coûte que coûte de ramener l’immigration au cœur du débat. Son dernier tout ménage dénonçait «l’hystérie climatique» et accusait l’immigration de masse de mettre en danger les ressources naturelles de la Suisse et l’environnement.
Enfin, le PLR accuserait un léger recul avec 16.2% des intentions de vote (-0.2), échouant dans son intention de devenir la deuxième force politique du pays, devant le PS. Il est notamment victime de sa tentative de récupérer la question climatique à la sauce néolibérale et de son incapacité à proposer une position cohérente sur ce thème.
Une écologie populaire
A la gauche de la gauche, le PST-POP défendra, lui, une politique écologique sans concessions et populaire, qui ne pénalise pas les travailleurs et les personnes modestes, comme l’explique Christophe Grand, co-secrétaire du PST/POP. «Nous sommes d’avis que l’écologie ne peut pas s’accommoder du système capitaliste. La plupart des partis proposent des solutions qui reposent sur la responsabilité individuelle, comme avec la taxe au sac pour inciter les gens à trier leurs déchets ou la taxe sur le carburant. Mais ces taxes sont les mêmes pour toutes les catégories de revenu, et pénalisent les travailleurs». Le PST-POP s’engage également en faveur de la souveraineté alimentaire et s’oppose aux grands traités internationaux de libre-échange. «Nous sommes favorables à un protectionnisme solidaire, ce qui implique de questionner nos accords commerciaux, poursuit Christophe Grand. Il s’agit de protéger une production indigène durable et sans pesticides qui assure des conditions de vie décentes aux ouvriers agricoles et aux agriculteurs».
Le POP défendra aussi les conditions de retraite, en mettant en avant la nécessité de renforcer le premier pilier, de garantir un départ à la retraite à 60 ans pour toutes et tous et une rente minimale de l’AVS de 4000 francs. Et il s’opposera à toute élévation de l’âge de la retraite des femmes. «Une véritable gauche combative, solidaire, progressiste et anticapitaliste est nécessaire, qui ne renie pas les valeurs qu’elle défend, affirme Christophe Grand. Le PS a quand même joué des jeux d’alliance au parlement fédéral, notamment en soutenant la RFFA. Et son discours sur la prévoyance vieillesse n’est pas très clair. Il suit les propositions d’Alain Berset, dont on n’est pas sûr qu’il s’opposera à une augmentation de l’âge de la retraite des femmes».
En matière d’égalité entre femmes et hommes, le PST-POP prône des contrôles systématiques de l’égalité salariale dans les entreprises, avec des sanctions dissuasives, «comme c’est par exemple le cas en Islande», précise Christophe Grand. Il propose également un congé parental de 18 mois, à partager égalitairement entre les parents du nouveau-né, ainsi que l’interdiction de licencier un parent à son retour de congé parental.
Le PST-POP espère conserver le siège de Denis de la Reussille, et même en gagner un supplémentaire dans le canton de Vaud et au Tessin. «Ce ne serait toujours par la révolution, plaisante Denis de la Reussille. Mais si les Verts font un meilleur score au parlement fédéral et que la gauche de la gauche obtient trois élus, ces nouveaux sièges permettraient de déplacer le curseur et obligeraient le PLR à regarder vers le PDC et le PS, plutôt que vers l’UDC».