Camille Golay est secrétaire syndicale chez Unia pour le secteur de l’industrie, à la Vallée de Joux. Elle a travaillé durant 13 ans dans la branche horlogère. En 1991, c’est Liliane Valceschini, ouvrière dans l’horlogerie, militante FTMH puis première femme présidente de la section FTMH de la Vallée de Joux, qui lance l’idée d’une grève des femmes à la sortie d’un comité de section, ulcérée par le mauvais traitement d’une entreprise envers ses salariées. A l’époque, 46% des travailleurs de la branche gagnaient moins de 3’500 francs par mois, dont 93% de femmes. Et cela malgré l’introduction en 1981 de l’Art. 4 sur l’égalité dans la Constitution. Elle partage son idée avec Christiane Brunner, alors représentante de l’horlogerie au comité directeur de la FTMH. Celle-ci portera la proposition à l’USS, qui aboutira à la grève des femmes de 1991. Une année plus tard, Christiane Brunner deviendra la première présidente de la FTMH.
Qui sont les membres du groupe femmes de la Vallée-de-Joux, constitué en vue de la grève du 14 juin?
Camille Golay Nous avons commencé à réunir quelques femmes à travers mes contacts du comité horloger – qui est l’organe prenant les décisions pour la branche horlogère à la Vallée de Joux – suite à la manifestation nationale en faveur de l’égalité salariale du 22 septembre 2018. Puis, contre toute attente, le groupe s’est peu à peu étoffé. Il rassemble aujourd’hui quasiment une représentante par entreprise horlogère de la région, soit une quinzaine de militantes. Comme au départ il était non mixte, il a permis à des femmes qui n’étaient pas forcément intéressées par les activités syndicales de participer et d’amener leur pierre à l’édifice.
Nous avons en particulier réussi à intéresser de jeunes travailleuses d’une vingtaine d’années à notre groupe grâce au film Bread and Roses de Ken Loach que nous avons projeté au cinéma du Sentier le 6 mars. Elles sont venues voir le film avec des collègues syndiquées, alors qu’elles n’auraient jamais assisté à une assemblée syndicale. Et le lendemain, nous avions justement organisé une séance de notre groupe femmes, à laquelle elles ont participé.
Au sein du groupe, beaucoup de femmes osent s’exprimer, dire des choses, proposer des idées. Alors qu’au comité horloger, tout le monde ne prend pas forcément la parole.
Quelle est désormais la situation des femmes dans la branche horlogère, 28 ans après la première grève?
Ce que nous constatons à travers notre travail quotidien, c’est la grande flexibilité des conditions de travail, qui engendre beaucoup de difficultés. Certains contrats de travail prévoient une clause qui oblige les travailleuses à temps partiel à accepter les heures supplémentaires en fonction des besoins de l’entreprise. Et il est très difficile de travailler en dessous d’un taux d’occupation de 80%.
Les femmes subissent également des pressions lorsqu’elles sont enceintes. Il est très fréquent que l’entreprise ne leur paie pas les heures d’absence lorsqu’elles se rendent à un rendez-vous médical. On leur fait également comprendre qu’elles doivent éviter les arrêts de travail autant que possible, avec menaces de licenciement si elles sont trop souvent absentes. Cette situation concerne également les femmes qui doivent prendre congé pour s’occuper d’un enfant ou d’un proche malade. Elles doivent s’expliquer, présenter un certificat médical dès le premier jour d’absence, etc.
Ensuite, de manière générale, les salaires stagnent, malgré les grosses entreprises présentes à la Vallée – par exemple deux entités du groupe Richemont et trois du groupe Swatch – qui se portent bien. Le salaire horloger pour une personne non qualifiée est de 3’670 francs! Et les femmes gagnent 24.8% de moins que les hommes. Donc évidemment, dans un ménage avec des enfants, même si les deux parents travaillent, on sent passer ce quart de salaire en moins.
Quelles sont donc aujourd’hui les revendications de ces femmes?
Nous avons établi un cahier de revendications des femmes horlogères, qui est à écouter sur la page Facebook. Nous nous sommes calquées sur les revendications d’Unia qui s’organisent autour de trois axes: plus de temps, de respect et d’argent. Nous demandons donc la fin du harcèlement sur les lieux de travail, de vrais contrôles de l’égalité salariale, l’arrêt des pressions sur les femmes enceintes et les demandes de temps partiel, etc.
Quelles actions sont prévues ce jour-là à la Vallée de Joux?
Pour la plupart des membres du groupe, il était difficile d’envisager de faire grève toute la journée. Nous sommes donc parties sur une mobilisation entre 11h et 14h30, durant la pause de midi, avec un groupe de musique, un bar, le repas offert, etc. Il y aura des prises de parole, auxquelles participeront également les nouvelles militantes, ainsi que la participation de Vania Alleva., présidente d’Unia et vice-présidente de l’USS.
Les grosses entreprises ont dans l’ensemble favorisé les demandes de congé, mais les travailleuses devront s’absenter sur leurs heures ou leurs vacances. Quelques femmes du groupe feront quand même grève toute la journée. Et nous descendrons à Lausanne à 18h pour la grande manifestation.