Aysel Günes, femme réfugiée et étudiante en sciences sociales à l’Université de Lausanne, a impulsé la création d’un groupe de femmes migrantes pour la grève du 14 juin. Elle revient avec nous sur les revendications spécifiques des femmes migrantes au sein de la mobilisation.
Pourquoi avoir décidé de créer ce groupe et qui sont ses membres?
Aysel Günes Les femmes migrantes sont partout, elles participent à toutes les manifestations féministes, mais elles sont invisibles. Les femmes de notre groupe sont étudiantes ou apprenties, femmes au foyer, salariées – en général dans l’économie domestique ou l’hôtellerie-restauration, parfois mères célibataires. Elles proviennent des pays tiers et beaucoup ont des permis de séjour précaires. Certaines sont sans-papiers. Elles sont turques, kurdes, iraniennes, arabes, érythréennes, éthiopiennes ou d’Amérique latine.
Quelle oppression spécifique subissent les femmes migrantes?
La première violence est étatique et liée aux accords de Dublin, qui prévoient le renvoi des femmes dans le premier pays où elles se sont enregistrées lors de leur arrivée en Europe. Il y a également le risque de non-entrée en matière (NEM), ou carrément de refus d’une demande d’asile, et donc de renvoi dans le pays d’origine.
Parmi nos militantes, il y a une femme qui a été renvoyée dans le cadre des accords de Dublin et qui a pu revenir en Suisse grâce au collectif R. Aujourd’hui, le délai Dublin a expiré, et elle a pu redéposer une demande d’asile en Suisse.
Il y a ensuite la problématique de l’obtention d’un permis de séjour via le regroupement familial avec le mari, ou les cas de mariage avec un ressortissant suisse ou européen. Ces deux situations concernent la plupart des femmes. Comme elles doivent rester mariées plusieurs années avant d’obtenir leur propre permis de séjour, celles qui se séparent, par exemple si elles sont victimes de violences conjugales, perdent leur permis et sont renvoyées chez elles.
Quelles sont vos revendications pour le 14 juin?
Nous demandons entre autres la fin des renvois des femmes requérantes d’asile ainsi que la modification de la Loi sur les étrangers (LEtr) en faveur des femmes venues en Suisse par mariage, afin que celles qui sont victimes de violences conjugales puissent divorcer sans perdre leur titre de séjour. Ou encore le droit à des cours de français gratuits pour toute personne migrante jusqu’au niveau B2 ainsi que la garde d’enfants offerte aux parents qui suivent ces cours. En effet, les hommes sont favorisés au moment d’apprendre le français, car ils en ont besoin pour travailler, alors que de nombreuses femmes gardent les enfants à la maison et n’ont donc pas de possibilité d’apprendre la langue.
Quelles difficultés particulières rencontrent les femmes du groupe pour participer à la grève?
Il y a tout d’abord la crainte chez la plupart d’entre elles de se faire identifier par l’employeur, car elles peuvent très facilement perdre leur travail. La plupart ne feront donc pas grève, mais participeront à la manifestation en fin de journée. Ce qui représente un risque particulier pour les femmes sans papiers, qui ont très peur des contrôles policiers qui pourraient être effectués. Nous devons encore discuter la semaine prochaine des prises de parole. Pour celles qui ne souhaitent pas s’exposer, il y a la possibilité de faire lire leur texte par quelqu’un d’autre. Nous sommes également en train de réfléchir à la manière de les protéger, en restant tout du long autour d’elles.