Le colis ficelé piégé de la RFFA

Suisse • Les opposants à la RFFA fédéral n’ont pas dit leur dernier mot, alors que les récents sondages annoncent une victoire du projet dans les urnes. Un projet de recours est à l’étude dans le canton de Vaud.

Nous nous prononcerons en effet ce dimanche sur ce compromis élaboré par le parlement fédéral, principalement par le PLR et le PS, contre lequel plusieurs syndicats, les Verts, la gauche combative ainsi que des associations de consommateurs ont lancé un référendum qui a abouti en janvier 2018.

Pour rappel, cet objet complexe mêle deux volets distincts. Le cœur de la réforme consiste à supprimer les régimes fiscaux cantonaux, qui prévoyaient des forfaits fiscaux pour les grandes entreprises, tandis que les sociétés locales étaient taxées jusqu’ici à des taux plus élevés. Ce double régime d’imposition, dénoncé de longue date par la gauche – et dont les référendaires ne contestent pas l’abolition, n’est plus conforme aux réglementations internationales.

En cas d’acceptation du projet, chaque canton devra définir un taux d’imposition unique, mais nécessairement plus bas que les taux actuels auxquels sont soumises les entreprises indigènes, puisqu’il s’appliquera également aux multinationales. Afin que la Suisse demeure «un site d’implantation attrayant pour les entreprises», selon les propres termes de la Confédération, cette réduction massive de l’imposition dont profiteront les firmes suisses qui réalisent des bénéfices sera couplée à de «nouvelles réglementations fiscales spéciales visant à promouvoir la recherche et le développement»; traduisez: de nouveaux outils d’optimisation fiscale destinés aux multinationales et aux holdings. Avec pour conséquence des pertes fiscales pour les collectivités publiques estimées à 4 milliards de francs par les référendaires.

Afin de faire passer la pilule après le rejet de la RIE 3 – la version précédente et clone de la RFFA – par 60% de la population en février 2017, ce nouveau projet prévoit en parallèle un financement additionnel de 2 milliards par année, depuis 2020, destinés à l’AVS. La Confédération prendra en charge 800 millions, tandis que le reste sera financé par un transfert issu de la TVA, mais surtout par l’augmentation des cotisations sociales des employeurs et des travailleurs.

Objets sans liens

Opposés à ce type d’arrangement, plusieurs militants du POP Vaud ont annoncé ce week-end qu’ils déposeront un recours en cas de «oui» à la RFFA. Ils seront représentés par l’avocat Pierre Chiffelle, ancien conseiller d’Etat vaudois socialiste.

En effet, comme l’explique Anaïs Timofte, vice-présidente du parti cantonal, ce projet viole le principe de l’unité de la matière. «Il s’agit d’un principe qui découle de la garantie des droits politiques inscrits dans la Constitution. Celui-ci prévoit qu’on ne peut pas, dans un même projet, lier artificiellement deux objets qui n’ont pas de lien direct entre eux, analyse Anaïs Timofte. Et c’est la première fois que dans une votation fédérale, la violation de l’unité de la matière est aussi flagrante».

Pour la jeune femme, il s’agit de garantir que les votants puissent réellement s’exprimer sur le fond de la question qui leur est posée. «Les gens ne peuvent pas se prononcer sur les deux volets de manière distincte. Ils ne peuvent que tout accepter en bloc, ou l’inverse. Or, le volet AVS a été ajouté dans une visée purement tactique, dans le but que la réforme fiscale soit acceptée par la population. Il s’agit d’un chantage à large échelle, et comme citoyen, on ne peut pas accepter que le parlement fasse pression sur la population de la sorte».

Par ailleurs, aucun lien n’existe au sein du projet entre les deux objets, comme le dénonce Anaïs Timofte. «Nous critiquons le fait qu’il n’y ait aucun pont entre le volet fiscal et le volet AVS. En cas de «oui», le montant estimé à deux milliards qui sera attribué à l’AVS ne proviendra pas du volet fiscal, mais de l’augmentation des cotisations sociales et d’un transfert supplémentaire de la TVA en faveur de l’AVS. C’est là encore une manœuvre politique. Il s’agit d’un premier pas en direction de l’augmentation du taux de la TVA, explicitement inscrite dans le projet AVS 21, qui sera traité cet été par le parlement, réforme qui prévoit également l’élévation de l’âge de la retraite des femmes. Et pas un seul centime supplémentaire ne sera versé aux retraités».

Recours salutaire

Pour soutenir leur argumentation, les recourants potentiels s’appuient en particulier sur un avis de droit publié par l’Office fédéral de la Justice (OFJ) le 31 mai 2018 à l’attention d’une commission du Conseil des Etats. «L’OFJ avait admis que la RFFA constituait clairement un cas limite, et qu’il n’y avait pas de connexité entre les deux objets, précise Anaïs Timofte. Nous souhaitons donc convoquer le pouvoir judiciaire afin que le Tribunal fédéral détermine si on est au-delà du cas limite, et s’il faut dès lors invalider la votation».

Pour la popiste, le recours a de bonnes chances d’aboutir, si l’on se réfère à deux jurisprudences des cantons de Neuchâtel et d’Argovie. «A Neuchâtel, le vote sur deux projets de loi que le Grand conseil avait liés l’un à l’autre a été invalidé par le Tribunal fédéral. Dans le cadre d’une réforme de la fiscalité des entreprises, le parlement cantonal avait ajouté un volet sur l’amélioration de l’accueil de jour des enfants, alors qu’il n’y avait aucun lien direct entre les deux». Enfin, les opposants pointent que dans les derniers sondages SSR et Tamedia, le reproche de réunir de manière antidémocratique deux sujets dans un même paquet constitue l’argument le plus important dans le camp du «non».

Quant à la procédure formelle, elle sera très rapide, puisque le recours doit être déposé auprès d’un gouvernement cantonal quelconque au plus tard dans les trois jours après la publication des résultats dans la Feuille des avis officiels. Le gouvernement aura alors 10 jours pour trancher, et, en cas de rejet, les recourant pourront se tourner vers le Tribunal fédéral.

Mais comment réagirait le Conseil d’Etat vaudois champion du «compromis dynamique» si le recours devait être déposé dans ce canton? Au-delà de la boutade, pour Anaïs Timofte, ce serait l’occasion d’envoyer un signal fort. «Le compromis dynamique à la vaudoise est une transaction conçue par le PS et le PLR, dans le but de contenter leurs bases électorales respectives, que ses partisans souhaiteraient exporter au niveau fédéral. Or, dans ce modèle, les enjeux sont ficelés d’avance». Il s’agit donc de montrer qu’une autre manière de faire de la politique est possible. «C’est un déni de démocratie évident, qui empêche que les véritables enjeux soient mis sur la table. Pourtant, les gens ont le droit de se prononcer. Nous voulons montrer que cette manière de faire ne convient pas à tout le monde, et que le parlement ne peut pas faire fi de principes de droit découlant de la Constitution». Premier round donc le 19 mai dans les urnes