La justice sociale au menu de l’OIT

Anniversaire • A la base de règles et conventions normatives en matière de droit et protection du travail, l’Organisation internationale du Travail (OIT), basée à Genève, célèbre son centième anniversaire.

«Le centenaire de l’OIT doit favoriser la protection juridique des travailleurs engagés dans une entreprise ou un syndicat en Suisse», estime l’USS. (DRt)

«Au lendemain de la Grande Guerre, notre organisation est à la base du multilatéralisme. Depuis 1919, à travers sa Constitution et ses multiples instruments internationaux (la plupart normatif), elle a toujours défendu la justice sociale, la dignité des travailleurs et l’Etat social tels qu’on les connaît aujourd’hui. En 1944, la Déclaration de Philadelphie, annexe à notre Constitution, proclame que le travail n’est pas une simple marchandise comme les autres. L’originalité de l’OIT réside aussi dans son organisation tripartite. Elle regroupe les Etats, employeurs et syndicats», souligne Maria-Luz Vega, membre du Bureau international du travail (BIT), secrétariat permanent de l’organisation.

Plainte des syndicats suisses

Petit rappel historique: En 1919, une première conférence internationale se tient à Washington DC. Elle adopte six conventions internationales du travail traitant des enjeux cruciaux du travail, dont la durée du travail dans l’industrie, le chômage, la protection de la maternité, le travail de nuit des femmes, l’âge minimum et le travail nocturne des jeunes dans l’industrie. En 1926, l’organisation s’installe définitivement dans ses murs à Genève . Au fil du temps, l’OIT adopte de nouvelles conventions – soit des traités internationaux juridiquement contraignants – aussi bien sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical (1948), sur l’égalité de rémunération (1951) ou concernant la discrimination (emploi et profession) en 1958. En 1998, elle adopte une Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail et en 2008, une Déclaration sur la justice sociale pour une mondialisation équitable. Aujourd’hui, le rôle de l’OIT continue d’évoluer pour s’adapter aux changements survenant dans le monde du travail, notamment du fait de la mondialisation. Celle-ci s’intéresse dorénavant aussi aux droits des peuples autochtones, aux personnes affectées par VIH/sida, aux travailleurs migrants ou aux travailleurs domestiques.

«Nous saluons tout ce travail, même s’il faut reconnaître que le fonctionnement tripartite basé sur le compromis, n’est pas toujours l’idéal pour les travailleurs et que l’OIT a parfois manqué des occasions», souligne Umberto Bandiera, du syndicat Unia. Au passage, il rappelle que la CGAS organisera en juin des événements publics dans la Cité de Calvin à l’occasion du centenaire de l’OIT. L’organisation peut cependant être un levier pour les luttes locales. A plusieurs occasions, les syndicats suisses se sont adressés à elle pour dénoncer la faiblesse de la protection des délégués syndicaux dans notre pays et le non-respect de la convention signée à propos des libertés syndicales.

Le combat continue. «Ce centenaire doit servir à améliorer la protection juridique des travailleurs qui s’engagent dans une entreprise ou un syndicat. Il est inacceptable que le pays hôte de l’OIT fasse fi du droit international contraignant. En décembre 2018, un arrêt de principe du Tribunal fédéral sur l’application directe des normes de l’OIT a ouvert la voie à une interprétation longtemps attendue de la législation suisse sur le licenciement conforme aux droits fondamentaux, au cas où le Conseil fédéral et le législateur continueraient à adopter une attitude passive», avertit Luca Cirigliano, secrétaire central à l’USS dans la revue La Vie économique.

«Pour leur part, les syndicats français sont intervenus pour dénoncer leur gouvernement au moment la loi Travail (loi El Khomry) de 2017, lancée par Emmanuel Macron», nous indique une fine connaisseuse, qui ne veut pas être citée, de l’OIT.

Face aux dérives dans le monde du travail, ne faudrait-il pas augmenter le pouvoir de sanctions de l’OIT, afin de mieux faire respecter les normes édictées par l’organisation onusienne? «Nos mandants n’ont jamais voulu se concentrer sur un pouvoir de sanctions plus large. Cela dit, l’OIT a une instance de contrôle sur le respect ou non des conventions dans les pays qui les ont ratifiées. Ce qui peut déboucher sur des dénonciations publiques et internationales de certaines pratiques contrevenantes. Dans le même temps, les conventions sont retranscrites dans le droit national, où des pouvoirs de sanctions existent», explique Maria-Luz Vega.

L’avenir du travail en question

A l’occasion du centenaire, l’OIT ne chômera pas. En janvier, la Commission mondiale ad hoc sur l’avenir du travail a lancé son rapport sur l’Avenir du travail. Le texte développe un examen approfondi sur le thème marqué, entre autres, par l’intelligence artificielle, l’automatisation ou la robotique afin de fournir la base analytique «nécessaire à la poursuite de la justice sociale au 21e siècle». Le rapport défend l’accroissement de l’investissement dans le potentiel humain, dans les institutions du travail (réglementations, conventions collectives, inspection du travail) ou dans le travail décent et durable. «Un accord sur la Déclaration devrait bientôt être trouvé. Il inclura quelques points de recommandations. Celle-ci sera au centre du débat à l’occasion de la Conférence internationale du travail en juin. Nous avons bon espoir de déboucher sur un texte, basé sur un accord tripartite, qui nous permettra d’affronter les enjeux de l’avenir du travail et qui soit aussi la base de nouveaux instruments et de l’action future du BIT», souligne encore Maria-Luz Vega.

Pour sa part, une commission normative est en train de finaliser son travail sur une Convention contre la violence et le harcèlement dans le monde du travail. «L’objectif est que les États soient contraints d’interdire la violence et le harcèlement dans le monde du travail ainsi que d’élaborer et appliquer des stratégies et des programmes concrets pour lutter contre ces réalités. En outre, l’application des lois doit être contrôlée par les inspectorats du travail ainsi que par d’autres moyens. Les victimes de violence et de harcèlement doivent être protégées et leurs auteurs punis», précise Luca Cirigliano de l’USS dans un communiqué.