Jean Mayerat est issu du milieu ouvrier. Il est né à Yverdon le 31 mars 1929 … le jour de Pâques. Il affirme cependant aujourd’hui son «athéisme joyeux». Sa vie commence par un drame: le décès de sa mère. Malgré cela, il connaît une enfance heureuse. Il fréquente l’école primaire jusqu’à quinze ans, puis est porteur de pain à Zurich en 1944-45. Ensuite il entre à la Poste comme facteur. Pendant toute sa jeunesse, il fréquente la cabane des Amis de la Nature aux Cluds sur Bullet, dans le Jura vaudois. Cette organisation avait été fondée en Autriche en 1890 pour essayer de sortir la classe ouvrière de l’ivrognerie et la faire accéder à la culture.
Dans cette cabane se déroulent des discussions passionnées entre des ouvriers très cultivés, appartenant aux deux composantes de la gauche: sociale-démocrate et marxiste. C’est pour Jean une école de vie. Il a toujours été aussi un lecteur passionné: Gorki, Panaït Istrati, Balzac, Victor Hugo, Zola… D’octobre 1947 à l’été 1949, il est à Bâle. Là, il développe une formation politique et culturelle.
En 1950, il adhère tout naturellement au POP à Yverdon. Il y avait tant à faire à l’époque: correction des eaux de la Thièle, construction d’écoles et de logements ouvriers… Il est un membre actif du parti, et du Conseil communal, dont il assume la présidence en 1956. Il subit le contrecoup de son engagement. En 1950, le Conseil fédéral prend des mesures d’esprit maccarthyste contre les fonctionnaires jugés «indignes de confiance», les communistes bien sûr… Dans le canton de Vaud, trois employés sont exclus de la Poste.Vu son jeune âge, Mayerat est «rétrogradé au provisoire». Il quitte les PTT en 1953 et fait un apprentissage de dessinateur-architecte. Chaque changement dans ses activités l’a fait progresser.
En 1960, l’«affaire Mayerat» le fait connaître
On est alors en plein processus de décolonisation. A Yverdon, il y a la présence de déserteurs français, qui refusent de participer à la guerre d’Algérie. Plusieurs militants de gauche apportent une aide au Front de libération nationale algérien. Mayerat fait deux transports en France du journal du FLN, El Moudjahid, qui est imprimé en Suisse. Au deuxième, le 13 août 1960, il est intercepté et arrêté à la douane, avec son épouse Anne-Marie. Dans les locaux de la police, il n’est pas vraiment torturé mais subit des sévices physiques et psychologiques. Puis il y a procès. Anne-Marie Mayerat est condamnée à la durée de la préventive, lui-même à un an d’emprisonnement, qu’il effectuera à la prison de Besançon. Il y découvre les militants du FLN, dont beaucoup sont analphabètes: Jean leur apprend un peu le français. Après cette «affaire» qui a fait beaucoup de bruit, Anne-Marie, pendant des années, ne retrouvera pas le moindre poste comme institutrice, alors qu’on est en pleine pénurie d’enseignants… Autre exemple d’«interdiction professionnelle»!
Quant à la fin de l’URSS, Jean Mayerat la ressent de manière ambivalente. C’est à ses yeux un désastre, car l’édification du socialisme en Union soviétique était liée à un espoir mondial pour des millions de gens. Il est de ceux qui ont longtemps cru qu’après les crimes de Staline, le système était réformable.
Une vie remplie aussi par les arts: cinéma et photographie
Avec sa caméra Paillard, la Rolls de l’époque, Jean Mayerat réalisera plusieurs films. Entre 1958 et 1962, il tourne Nuages sur le pays, qui s’inscrit dans la lutte contre la tentative du Conseil fédéral d’introduire des armes nucléaires dans l’armée suisse. Ce projet déclenche un vaste mouvement d’opposition, où l’on trouve des chrétiens, des pacifistes, des militant-e-s de gauche. C’est l’époque des Marches de Pâques et de l’exposition contre les armes nucléaires, parallèle à l’Expo 64. Mayerat réalise un beau documentaire sur la Vallée de Joux, Chronique d’une vallée du Jura vaudois (1969-1973). Ce film en couleurs, qui montre l’activité industrielle, notamment horlogère, mais aussi la vie sociale, culturelle, sportive et qui s’interroge sur l’avenir de la vallée entre espoirs et inquiétudes, n’a pas pris une ride.
Jean Mayerat a participé activement à la création de la collection Plans-Fixes, née en 1977. L’idée est de réaliser des films peu coûteux où puissent figurer des personnes intéressantes. A ce jour, Plans-Fixes compte environ 340 films.
Après avoir, comme tout le monde, pris des photos, Jean Mayerat apprend à l’âge de soixante ans le traitement de l’image sur un plan professionnel. Il réalise notamment un travail sur la femme noire émergeant du noir ou se fondant dans le noir. Aucun rapport avec les photos d’«indigènes» chargées de sexualité au temps du colonialisme! Il tente d’exprimer la noblesse et la dignité du corps de la femme. Cette démarche aboutit en 2008 à une exposition à l’Espace Arlaud à Lausanne. Il y aura aussi deux ou trois expositions de paysages.
Jean Mayerat vit aujourd’hui sa retraite à Rolle … même s’il ne s’est jamais senti «à la retraite»! Celle-ci a cependant été endeuillée par la perte de son épouse Anne-Marie, compagne de vie et de combats pendant soixante-et-un ans. Il continue à fréquenter assidûment expositions, conférences et autres manifestations publiques, politiques ou culturelles, et à pratiquer le ski de fond. Lucide sur le fait qu’il vit ses dernières années de vie, il croque celle-ci à pleines dents et fait bénéficier ses proches de son amitié chaleureuse.
Nous te souhaitons un très bon anniversaire, cher camarade Mayerat!