Dans le cadre des débats sur les initiatives alimentaires soumises au peuple le 23 septembre, Arc info a publié dans son numéro du 8 septembre les propos de Jérémie Forney, anthropologue à l’Université de Neuchâtel. Le même article est repris dans Le Courrier du 10 septembre et il nous semble nécessaire d’élargir les propos de l’universitaire. Il constate que «pendant le 20ème siècle, on a eu tendance à se déconnecter des questions relatives à l’alimentation» et souligne que c’est la distance entre le lieu de production et le lieu de consommation qui se trouve à l’origine des dysfonctionnements actuellement constatés. «Le système dans lequel nous fonctionnons a provoqué des modes de consommation malsains». Pour Jérémie Forney les deux initiatives sont ambitieuses et pointent la nécessité d’un changement qui dépasse le seul mode de production. Pour le dire autrement, le capitalisme doit être éliminé le plus rapidement possible si l’être humain veut continuer d’habiter sur la planète.
Dans cet entretien, la question des anti-spécistes est également abordée et les réponses données nous paraissent convaincantes car elles abordent de manière plus approfondie les raisons d’existence de ce mouvement.
Avec raison, il souligne que ce mouvement n’a pu se développer qu’avec la distance qui s’est créée entre l’animal d’élevage et les consommateurs. «L’antispécisme n’était pas concevable dans une société rurale où l’on vivait avec les animaux de ferme. On ne se demandait pas si on avait le droit de les tuer pour les manger. Cela allait de soi». Il conclut son entretien en exprimant que puisque les animaux se tuent et se mangent entre eux, pourquoi l’être humain ne devrait-il pas se nourrir de viande ? Et sa conclusion est sans appel:« Un tel mouvement n’aurait sans doute pas vu le jour sans les excès d’une agriculture hyperintensive du 20ème siècle, où l’on a réduit l’animal à une chose».
Ce qui paraît en cause, c’est le capitalisme. Marx faisait la même analyse. On trouve des précisions dans le très intéressant livre de John Bellamy Foster, Marx écologiste. L’auteur cite Marx qui explique qu’il «est intolérable que toutes les créatures aient été transformées en propriétés: Les poissons dans l’eau, les oiseaux dans l’air, les plantes dans la terre…Toutes les choses vivantes doivent également se libérer.»
«Un cadeau fait au capital»
La planète reste, dans une large mesure, un «cadeau fait au capital». Et il n’y a aucun espoir que cela change fondamentalement puisque le capitalisme est, à bien des égards, un système qui ne fonctionne que parce que certains coûts fondamentaux ne sont pas acquittés.
On trouve encore, dans cet ouvrage, un extrait du premier livre d’économie politique d’Engels, en 1843. «Trafiquer la terre – la terre qui est la condition première de notre existence, notre Hên kai pan (un et tout) – a été le dernier pas vers notre propre transformation en objet de trafic». Et dans son dernier livre, Dialectique de la nature, Engels écrit: «Et ainsi les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement.» La volonté de domination de la nature existait, certes, mais le développement du capitalisme a réduit à néant tout équilibre, même conquérant. Désormais, l’être humain est condamné à trouver les moyens pour échapper à ce dérapage de fin de civilisation et les deux initiatives alimentaires nous donnent l’occasion d’inscrire dans notre constitution les objectifs à mettre en œuvre pour réussir le sauvetage.
Marx écologiste par John Bellamy Foster, qui est une des figures les plus importantes de l’écosocialisme aux USA, Editions Amsterdam, 2011, 133p.