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Le Grand Conseil vaudois ne fera pas toute la lumière sur le licenciement ou le non-engagement d’employés de l’Etat de Vaud en raison de leurs opinions communistes ou de leur appartenance au POP durant l’époque de la guerre froide. Il a en effet refusé la semaine dernière par 63 voix contre 48 un postulat de l’ancien député popiste Julien Sansonnens qui demandait la création d’une commission historique ou le financement d’une recherche universitaire sur le sujet, notamment dans le but de réhabiliter moralement ces personnes qui «ont vu leur vie privée et professionnelle bouleversée parce que leur idéal de société s’écartait de la norme admise».
Des cas au niveau fédéral
Au niveau fédéral, l’étude menée suite à l’affaire des fiches a permis d’identifier 10 cas de licenciements et 24 résiliations du statut de fonctionnaire pour le remplacer par un statut moins protégé, durant cette période de crainte face au bloc de l’Est et de fort anticommunisme. Des menaces de licenciement sont aussi évoquées par des témoins de l’époque. Ces faits surviennent notamment suite à une directive fédérale de 1950, qui se prononce pour l’expulsion des fonctionnaires fédéraux membre d’une organisation communiste. Le Parti suisse du travail et ses sympathisants sont explicitement visés, alors même que celui-ci est légal et compte des élus au conseil national. Les socialistes et les directions syndicales ne s’opposent pas ou peu à ces mesures.
«J’ai été convoqué par le bureau du directeur d’arrondissement qui m’a informé que, suite à une instruction du Conseil fédéral, j’étais licencié sur-le-champ. J’ai pris mes affaires et je suis parti. Comme un voleur. Ce fut une profonde injustice», racontait Ernest de Kaenel, aujourd’hui décédé, dans les colonnes de Gauchebdo en 2009, 58 ans après son licenciement de septembre 1950. Il travaillait alors pour les PTT depuis plus de 10 ans et venait de recevoir un certificat louant l’excellence de son travail. Son tort: animer une cellule du POP dans un quartier lausannois, organiser des conférences en tant que vice-président des Amis des Lettres françaises, et avoir récolté des signatures pour l’appel de Stockholm, qui s’opposait à l’armement nucléaire. Des activités qui suffiront à le classer comme «indigne de confiance» par la Confédération.
Les cantons emboîtent le pas
Plusieurs cantons introduiront des dispositions légales similaires à celles de la Confédération, dont Vaud. Ainsi, en 1938, la Loi sur les organisations illicites (LASSI) interdit la diffusion d’écrits ou d’emblèmes émanant d’organisations communistes ou affiliées et précise explicitement que l’appartenance à une organisation communiste est incompatible avec l’exercice d’une fonction publique. Si cette dernière disposition a été abrogée en 1947, cela n’exclut pas que des personnes aient continué à être discriminées par la suite.
Les quelques recherches déjà existantes sur cette période, dont l’ouvrage Popistes, histoire du parti ouvrier et populaire vaudois, de l’historien Pierre Jeanneret évoquent les difficultés de certains sympathisants ou militants communistes à être nommés, notamment dans l’enseignement. A l’image de l’écrivain et enseignant Yves Velan, qui, après s’être vu signifier qu’il n’aurait jamais d’enseignement dans le canton de Vaud, dut s’installer en 1954 à La Chaux-de-Fonds, où il trouva un poste au gymnase, «le seul de Suisse où un membre du parti du travail avait des chances d’être nommé», selon la Voix Ouvrière. La nomination d’un professeur à l’UNIL aurait également été compromise du fait de ses idées politiques et des non-nominations ou licenciements pour la même raison ont également été documentés dans le privé.
Faire la lumière sur le CSAC
Mais certains fonctionnaires cantonaux ont-ils été licenciés? Combien? Et combien ont vu leur avancement en carrière interrompu ou ralenti, ou n’ont pas été nommés? Une étude plus précise fait défaut, selon Julien Sansonnens. Elle aurait également été l’occasion, selon lui, de faire la lumière sur les activités du Comité suisse d’action civique (CSAC), organisme de lutte anticommuniste qui comptait plusieurs conseillers d’Etat romands et le conseiller fédéral Paul Chaudet dans ses rangs. Quelles étaient les relations entre le CSAC et les autorités politiques vaudoises de l’époque? Des fonds publics ont-ils été engagés pour le financer? Ce sont quelques-unes des questions qu’une recherche permettrait d’approfondir.
Par la voix d’Alexandre Démétriadès, les socialistes ont soutenu le postulat, rappelant que le Grand Conseil s’était prononcé à 5 reprises par le passé sur le soutien à une recherche historique portant sur l’histoire cantonale, par exemple sur la question de la stérilisation de handicapés mentaux et qu’«à chaque fois, le Grand Conseil avait accédé à cette demande et les autorités financé une recherche». Rien n’y a fait. A droite, l’intérêt historique du sujet a été relevé, mais l’argument selon lequel l’Etat n’aurait pas les moyens l’a emporté. La nécessité de «ne pas remuer le passé» a également été avancée ou, plus sérieusement, la question de l’absence d’archives suffisantes pour documenter le sujet, argument contesté par le député de solidarités et historien Hadrien Buclin. «Financer une recherche a un coût, mais ce coût est infiniment plus faible que celui que les personnes victimes de cet anticommunisme primaire ont dû payer», a argumenté, quant à lui, le député popiste Vincent Keller.
En 2009, le conseiller national Josef Zisyadis avait déposé aux Chambres fédérales une motion demandant la réhabilitation publique des fonctionnaires et employés des CFF et des PTT licenciés pour raisons politiques. Le Conseil fédéral avait toutefois estimé que leur nombre était insuffisant pour qu’une réhabilitation soit nécessaire et la motion avait été rejetée