On se fait vieux. Comme il avait raison Paul Vaillant-Couturier, ce grand dirigeant du Parti communiste français: «Le communisme, c’est la jeunesse du monde.» C’est d’ailleurs bien réconfortant de voir que tu es l’idole de toute une partie de la jeunesse, celle qui s’indigne contre toutes les oppressions, les injustices. Oui, leur idole au même titre que le «Che».
Bien sûr, on a lu Karl Marx, mais pas tout parce que la philosophie, quand on est jeune ouvrier, il faut assimiler, comprendre, digérer. Alors, on «pique nique» parmi les ouvrages de Friedrich Hegel, de l’autre Friedrich, Engels, de Lénine, d’Auguste Bebel qui avait un petit mot qui peut parfaitement convenir à notre extrême droite: «Le nationalisme, c’est le socialisme des imbéciles». Ne pas oublier non plus un des pères du matérialisme, le grec Démocrite.
Nous étions à «Jeunesse Libre», la jeunesse communiste, c’était dans les années soixante. On s’initiait au matérialisme avec le «Politzer», de ce merveilleux professeur, fusillé par les boches, et qui s’intitulait «les principes élémentaires de philosophie», un petit ouvrage qui vous donnait l’envie d’aller plus loin dans les connaissances. Comprendre le monde, comprendre pourquoi l’esclavage, pourquoi le servage, pourquoi l’exploitation capitaliste. C’était passionnant que de découvrir le matérialisme historique, la dialectique: «Pourquoi? Parce que! Pourquoi? Parce que!» Il n’y a pas de vérité divine, il y a une explication, des explications. «Pourquoi l’inévitabilité, la nécessité des révolutions? Et qui sont les acteurs de la «révolution»? «Les prolétaires n’ont à perdre que leurs chaînes, ils ont un monde à gagner».
On était dans les locaux du Parti du Travail, au 21 Chantepoulet, au «Grütli», pour y entendre Paul Storz, responsable du parti pour les groupes d’entreprises, Jean Vincent, notre brillant avocat, Henri Trûb, rédacteur en chef de la Voix Ouvrière Karl Odermatt, rédacteur en chef du Vorwärts, André Rauber, rédacteur de la V.O., etc.
Avec un tel bagage, pas besoin d’expliquer longtemps la nécessité d’une lutte quotidienne. On a vite compris que le capitalisme n’est pas à réformer, mais à détruire, comme l’affirme notre pote Jean Ziegler, ce qui nous différencie grandement de la social-démocratie. Pour nous, les jeunes communistes de cette époque, le chemin était tracé et nous nous en sommes jamais éloignés. On avait la conviction qu’un autre monde était possible, qu’il appartenait à la jeunesse de le construire. Que cette société serait «socialiste», parce qu’il n’y a pas d’alternative.
Pour moi, c’est l’héritage de Karl Marx. En ce qui me concerne, 75 coups sonnent à l’horloge et comme nous disait mon père, «vous, vous le verrez le Socialisme, moi …» et pour paraphraser Jack London dans l’épilogue de son ouvrage Le talon de fer, consacré aux luttes des ouvriers de l’industrie automobile américaine et aux répressions qui s’en sont suivies: «Et dire qu’il a fallu attendre 600 ans avant que la classe ouvrière prenne le pouvoir!» Comme quoi la patience est une vertu révolutionnaire.