Quand un opéra de Mozart ou les ballets de Monte-Carlo ne font pas le plein, on affiche côte de bœuf, fromages, poireaux et saucisses. Certains s’en amusent, d’autres s’irritent. Et si on proposait de l’opéra pour attirer les gens à l’opéra? Et si on osait une programmation un peu audacieuse, qui n’oublie pas qu’on vit au 21e siècle et que la musique ne s’est pas arrêtée à l’Histoire du soldat, qui sera donnée jour pour jour cent ans après sa création à Lausanne?
Le slogan de l’Opéra de Lausanne pour sa saison 2018-2019 est: ce n’est pas la nourriture qui compte, c’est l’appétit. Pas sûr; on pourrait aussi dire que l’appétit vient en mangeant. Et quand l’appétit manque, tout et n’importe quoi vont-ils susciter un nouveau public? Cosi fan tutte, La Chauve-souris, Orphée et Eurydice ou Ariane à Naxos ne font-ils pas plus saliver que des affiches, bien photographiées certes, mais qui n’ont de surcroît aucune originalité graphique et ne parlent pas opéra?
Une saison bien conçue
La saison est certes en soi bien conçue, sans rien d’extraordinaire pourtant, sinon, pour ceux qui aiment ce genre, la venue du violoniste Ara Malikian. Sympathique, l’hommage par le Sinfonietta à la musique américaine et plus particulièrement à Bernstein qui aurait 100 ans; certainement fort prisé par ceux qui aiment le baroque, le concert Vivaldi dirigé par Diego Fasolis avec un jeune contre-ténor, Raffaele Pe, excellent, et puis une soirée du Béjart ballet. En matière d’opéra, quelques œuvres peu connues, un Donizetti rarement joué, Anna Bolena, une Mam’zelle Nitouche de Hervé, le même Hervé qui signe les Chevaliers de la Table ronde qui sillonneront le canton sur la Route lyrique.
Moins de public?
L’opéra et la musique dite classique attirent-ils vraiment moins de monde que jadis? Peut-être! Et encore… Cela n’a toujours concerné qu’une part limitée de la population. A noter que lorsque les médias, et surtout nos quotidiens, accordaient plus de place à la musique, cela intéressait plus de gens, suscitait de la curiosité, donnait envie. Et puis sans doute, pratiquait-on plus la musique chez soi: de mon temps, dès les premières classes d’école, on recevait un instrument, une flûte douce par exemple, et on faisait de la musique; et puis il y a eu l’enthousiasme et le charisme d’un Jacques Pache, qui donnaient envie de faire partie de l’orchestre des collèges ou du chœur du gymnase, de sacrifier jours de congé et de vacances pour interpréter passions et oratorio de Noël, mais aussi découvrir quelques œuvres d’aujourd’hui, de Hofstettler, entre autres.
Aux concerts de musique de chambre à Pully (VD), on comptait en nombre les membres des innombrables quatuors d’amateurs qui connaissaient la partition jouée ou découvraient celle qu’ils n’avaient pas encore déchiffrée. A l’Orchestre de chambre de Lausanne (OCL), tout le corps enseignant primaire était là, parce qu’à l’Ecole Normale on faisait de la musique, violon puis autre instrument obligatoire, avec examen aussi important que math et français! Ce public se fait rare, la presse ne parle que de quelques concerts et encore n’accorde qu’un minimum de lignes pour cela.
Rien n’est perdu
Le relais a-t-il été pris ailleurs? On pense à El Sistema en Amérique latine, alors que vient de mourir son instigateur José Antonio Abreu, donc rien n’est perdu. Et même chez nous, après tout, à juger du succès remporté par le concert de l’OCL que dirigeait Simone Young avec, donné deux fois à l’instar de ce que faisait jadis Victor Desarzens, les Fünf Sätze de Webern et le Chant de la terre de Mahler, une œuvre longue, tout sauf facile. Avec ou sans poireau, fromage et côte de bœuf.