Longtemps décrié comme un opéra de commande, voire de propagande, composé en un temps record pour le couronnement de l’empereur Leopold II devenu roi de Bohême, la Clémence de Titus, de Mozart, émeut par la beauté empreinte de violence, de fureur, de désespoir, autant que d’humanité et de noblesse, de ses airs au dramatisme bouleversant. Certes, il y a de longs récitatifs, sans doute composés par Süssmayr, le disciple de Mozart; certes le livret a des invraisemblances et multiplie les intrigues; certes, deux ans après la prise de la Bastille (on est en 1791), la glorification d’un despote, fût-il éclairé, ne semble pas correspondre au Mozart de Figaro ou de la Flûte enchantée (que le compositeur était précisément en train de terminer); mais la Clémence de Titus incarne, en fait, une réflexion sur le pouvoir et sur le thème cher à Mozart, devenu franc-maçon, celui du pardon et de la réconciliation.
Le repentir final des deux héros, le traître Sextus qui, avec sa maîtresse Vitella, complote la mort de Titus, son ami et bienfaiteur, devient une sorte d’épreuve initiatique qui révèle les deux coupables à eux-mêmes. «Le véritable repentir vaut mieux qu’une fidélité constante», chante Titus, lequel souhaite inspirer à son peuple l’amour plutôt que la crainte et préfère être accusé de pitié plutôt que de rigueur. D’aucuns veulent y voir une faiblesse dépressive, une fragilité morbide. Quand ce ne serait pas simplement un personnage destiné à satisfaire l’attente des commanditaires! Mais la beauté et l’émotion de la musique semblent contredire cette supposition.
Qui fut le Titus historique?
On dit qu’avant de devenir empereur, Titus Flavius Vespasianus, né à Rome en 39 ap. J.-C., fut un guerrier redoutable, d’une rapacité, d’une cruauté et d’une intempérance ignobles. Mais, appelé à régner, il change radicalement. Il sera, parangon de toutes les vertus, un homme modéré, dévoué à son peuple, d’une bonté et d’une mansuétude inégalées. La raison d’Etat l’emportant sur la passion amoureuse, il renonce à Bérénice, se veut un prince exemplaire, se refuse à tout procès criminel. Son règne ne dura que deux ans; il meurt de la peste en 81 après avoir dû affronter une série de catastrophes: éruption du Vésuve, incendie de Rome, deux épidémies de peste. On lui décerne le titre de «délices du genre humain».
Une musique exceptionnelle
La partition de Mozart, une fois admis le genre de l’opera seria qui enchaîne récitatifs et airs virtuoses à la fin desquels, en principe, le soliste quitte la scène, recèle des moments d’une beauté poignante et une écriture orchestrale où certains pupitres, les bois en particulier, deviennent solistes. Le chef d’orchestre Harnoncourt n’hésitait pas à parler d’un souffle nouveau, d’un «langage d’avenir». On pense naturellement aux deux airs célèbres qui dialoguent, l’un («Parto, parto» de Sextus) avec la clarinette, l’autre («Non piu di fiori» de Vitella, l’instigatrice du complot) avec le cor de basset; le virtuose qui avait mis ces instruments à l’honneur, Stadler, en était l’interprète lors de la création. La partie chorale aussi est remarquable, en particulier lorsqu’elle se joint au quintette des solistes en fin du premier acte.
Avec un ténor dans le rôle-titre et quatre sopranos et mezzo-sopranos, les voix hautes dominent; il n’y a qu’une seule basse. A défaut de castrats, les rôles des deux jeunes hommes sont souvent tenus par des femmes, ce qui n’est pas toujours très heureux, à quelques exceptions près; mais aujourd’hui on a des contre-ténors et ce sera le cas à Lausanne où Sextus, qui tient en réalité le rôle principal de l’opéra, sera chanté par Yurli Mynenko qu’on a déjà entendu dans Ariodante de Haendel. L’OCL sera dirigé par Diego Fasolis, les chœurs de l’opéra par Pascal Mayer; à côté de Paolo Fanale en Titus, on aura Salome Jicia, Estelle Poscia, Lamia Beuque et Daniel Golossov. Il s’agit d’une nouvelle production mise en scène par un jeune artiste prometteur, Fabio Ceresa.
A l’opéra de Lausanne du 18 au 28 mars, www.opera-lausanne.ch, billeterie 021 315 40 20