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«L’initiative No Billag, c’est Dr Jekyll et Mr Hyde. C’est, d’un côté, la promesse d’une économie de 365 francs et c’est, de l’autre côté, la destruction du paysage médiatique suisse». Conseiller national socialiste neuchâtelois et membre du comité interpartis «Non! à No Billag», Jacques André Maire n’y va par quatre chemins pour dénoncer les dangers que renferme pour le paysage médiatique suisse l’initiative pour supprimer la redevance soumise au vote le 4 mars prochain.
Fixée aujourd’hui à 451 francs par ménage, cette taxe passera à 365 francs en 2019. Elle représente 75% du budget de la SSR. Elle est donc vitale pour l’entreprise. Les opposants à l’initiative rappellent qu’il n’existe pas de plan B à ce financement et qu’il est impossible de substituer cette redevance par un impôt du fait que l’initiative exige la fin totale de l’aide aux médias audiovisuels. En 2019, le Département de Doris Leuthard a d’ores et déjà prévu de réduire la quote-part de la redevance versée à la SSR à 1,2 milliard par an, qui devra faire des économies.
L’abonnement ne fonctionne pas en Valais
Impossible non plus d’imaginer remplacer la redevance par de la publicité. Aujourd’hui, la SSR encaisse 368 millions de rentrées publicitaires contre 328 millions aux chaînes françaises et allemandes qui font des décrochages publicitaires suisses dans leurs programmes. Avec la concurrence de Google ou de Facebook, cette manne devrait encore se réduire pour la SSR dans les années qui viennent.
L’idée de remplacer la redevance par un abonnement est aussi balayée par les opposants à cette initiative néolibérale. «En Valais, la télévision régionale Canal9, très appréciée du public, fait actuellement l’expérience des abonnements: sur 143’000 ménages, 7’500 seulement (5,2%) acceptent de payer un abonnement de soutien alors même qu’il n’est que de 3 francs par mois», explique le comité, qui rappelle aussi que la SSR est vitale pour la culture et le sport en Suisse. En 2016, la SSR a versé ainsi 56 millions de francs en droits d’auteurs à des créateurs.
Disparition de sept chaînes locales
Bref, sans redevance, des écrans noirs s’allumeront dans la quasi-totalité du pays et le silence radio régnera partout hors des grandes villes. L’initiative provoquerait la disparition de l’ensemble des sept chaînes TV locales concessionnés en Suisse romande comme La Télé sur Fribourg et Vaud ou Léman Bleu et la fin 12 chaînes radios romandes. A terme, No Billag menacerait 13’500 emplois en Suisse dont 6’800 directement dans un paysage médiatique déjà passablement dévasté.
Même si la SSR peut être l’objet de critiques, notamment dans son manque de pluralisme politique dans la couverture de l’info et qu’il serait souhaitable de proposer une redevance proportionnelle au revenu, il est important de faire échouer cette initiative. «Il n’y a pas moyen d’imaginer corriger quoi que ce soit si on accepte l’initiative No Billag, car elle anéantit tout l’existant. Elle modifie l’art. 93 de la Constitution fédérale, en précisant qu’aucune redevance de réception ne peut être prélevée par la Confédération ou par un tiers mandaté par elle et en supprimant la mention selon laquelle la radio et la télévision contribuent à la formation et au développement culturel, à la libre formation de l’opinion et prennent en considération les particularités du pays et les besoins des cantons», souligne Christiane Jaquet, présidente de l’AVIVO-Suisse et fondatrice l’Association romande pour une radiotélévision démocratique (ARTED).
Et d’ajouter: «Il faut savoir que la redevance radio et télévision bénéficie très largement à la suisse romande, au Tessin et à la région romanche: 70% des redevances sont collectées en Suisse alémanique, mais seules 45% servent à financer les médias d’outre-Sarine, le reste étant reversé aux régions minoritaires. Ce fut un combat très dur il y a 40 ans!». Autre point non négligeable, le fait que l’acceptation de l’initiative signifierait la suppression de l’accès gratuit à la radio et à la TV pour les 330’000 personnes bénéficiaires des prestations complémentaires PC.
TF1, M6 et Blocher à l’affût
A qui profiterait cette disparition de la SSR? Les principales gagnantes seraient les grandes chaînes privées françaises comme TF1 et M6 et allemandes intéressées à accroître leurs rentrées publicitaires sur le territoire suisse. En contrepartie, elles réaliseraient quelques reportages locaux en décrochements. Un bien pauvre pis-aller. «No Billag signifie moins ou pas d’informations de qualité dans le service public général et régional, donc appauvrissement des sources nécessaire pour se forger une opinion avec des informations complètes», tranchent les opposants.
Une entreprise comme Goldbach media, qui détient un portefeuille de quelques chaînes suisses et des chaînes étrangères pourrait aussi y gagner, en renforçant son rôle de courtier en fenêtres publicitaires suisses. L’entreprise, qui a été rachetée par Tamedia en décembre pour 216 millions, est aujourd’hui en rivalité sur le marché publicitaire avec Admeira, régie fondée en 2016 par la SSR, Swisscom et Ringier. On peut aussi imaginer que des membres de l’UDC comme Roger Köppel, rédacteur en chef de la Weltwoche ou Christoph Blocher, actionnaire du groupe de médias bâlois BaZ, qui a racheté 25 titres hebdomadaires gratuits aux éditions Zehnder, ne verraient pas d’un mauvais œil la disparition d’un concurrent. Soit autant d’acteurs privés qui n’ont pas vraiment comme priorité de renforcer le service public ou de favoriser la diversité de la culture ou le pluralisme politique.